Un néolibéralisme autoritaire

Le projet d’Emmanuel Macron est dépolitisé à l’extrême. Il veut gouverner la France comme on manage une entreprise.

Denis Sieffert  • 14 mars 2018
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Un néolibéralisme autoritaire
© MONEY SHARMA / AFP

Un peu plus loin dans ce journal, vous découvrirez un passionnant entretien avec le sociologue Christian Laval. Il y est question de la définition que Bourdieu et Foucault donnaient du néolibéralisme. Un mode d’assujettissement qui vise à transformer l’individu en « homme économique », disait en substance Foucault. Ce qui va évidemment avec un rétrécissement de l’espace politique. Avec Emmanuel Macron, on est dans les travaux pratiques. Après le recours aux ordonnances pour « réformer » le code du travail, la promesse d’une récidive pour liquider le statut des cheminots, l’utilisation récente du vote bloqué au Sénat et les vraies-fausses concertations avec les syndicats, le projet de révision constitutionnelle, dont les grandes lignes sont désormais connues, semble s’inscrire dans la même logique.

Le document fait aujourd’hui l’objet d’une consultation en trompe-l’œil menée sous la double menace d’une loi organique et d’un référendum. La loi organique permettrait d’esquiver, pour une partie de la réforme au moins, le vote du Sénat. Quant au référendum, il place les élus sous la menace d’un recours à une opinion hostile (mais c’est aussi pour Macron une arme à double tranchant). On parle beaucoup de populisme en ce moment. En voilà un exemple spectaculaire. Quoi de plus populiste que de jouer l’opinion contre les parlementaires et de suggérer leur inutilité. De Poujade à Le Pen, il y a toujours eu des démagogues pour cela, mais est-ce vraiment le rôle d’un président de la République ?

Mais, dans le cas d’Emmanuel Macron, il ne s’agit pas seulement de démagogie. La révision constitutionnelle poursuit un projet de renforcement de l’exécutif. Le Président veut pouvoir continuer de mettre en œuvre sans entraves ses réformes libérales. Il mène face à une société tétanisée une guerre éclair de liquidation des structures sociales. Le discours est toujours le même : « Guerre aux conservatismes ! » Cheminots et sénateurs dans le même sac ! S’agissant du contenu de la révision constitutionnelle, on pourrait toujours discuter à l’infini de chacun de ses points. Baisse du nombre de parlementaires, introduction d’une dose de proportionnelle, limitation du cumul des mandats dans le temps sont autant de dispositions présentées avec le plus grand flou. Il n’y a pas que du mauvais là-dedans.

La suppression de la Cour de justice de la République, par exemple, juridiction d’exception, est une bonne chose. Mais c’est l’ensemble qu’il faut regarder. Et une mesure nous éclaire sur la philosophie de l’opération : la limitation du droit à l’amendement. On attaque là le cœur du travail parlementaire. L’argument du gouvernement est redoutable : il y a de mauvais amendements tout juste destinés à retarder l’adoption des lois. Ce qui n’est évidemment pas faux. C’est d’ailleurs ce même discours que tenait Manuel Valls pour jouer du 49-3. Mais qui décidera qu’un amendement est sincère ou insincère ? Le gouvernement ! On voit bien que l’on s’engage là dans une impasse démocratique. Depuis que le projet est connu, les commentateurs sont en quête de références historiques. Bonapartisme ? Néo-bonapartisme ? Néo-gaullisme ? C’est faire beaucoup d’honneur à Emmanuel Macron. C’est un fait que celui-ci exploite toutes les ruses de la Cinquième République.

Mais, en dépit de quelques apparences, on se demande si l’actuel Président ne se situe pas précisément aux antipodes de De Gaulle. Non que le Général fut un grand démocrate. Mais son projet était profondément politique. Il ne voulait pas que « la politique de la France se fasse à la corbeille de la Bourse ». L’homme économique, ce n’était pas son truc. Le projet d’Emmanuel Macron est au contraire dépolitisé à l’extrême. Il veut gouverner la France comme on manage une entreprise. Des milliers de pauvres hantent les rues de nos villes, mais le gouvernement triomphe parce nous venons de passer sous la barre des 3 % de déficit. Il se veut comptable d’impératifs budgétaires dictés par la Commission européenne. Là est pour lui l’efficacité. La France n’aurait en quelque sorte pas une minute à perdre pour la démocratie et des débats sur d’autres choix de société.

Évidemment, cette vision « patronale » de la direction du pays – ce qu’on appelle aujourd’hui la « gouvernance » – n’est pas neutre. Même les règles comptables pourraient être plus équitables dans la répartition des richesses. Ici, elles enrichissent les riches et appauvrissent les pauvres. Où l’on voit que les questions institutionnelles ne peuvent nous laisser indifférents. Elles nous paraissent éloignées de notre quotidien, mais en touchant à la démocratie elles peuvent bâillonner les oppositions, et lever toute entrave à une politique de classe. Avec la révision constitutionnelle qui se prépare, Macron fourbit ses armes pour parachever un projet antisocial qui va bouleverser notre pays. À moins que la SNCF…

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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