Le gouvernement durcit le contrôle des chômeurs et saborde le « paritarisme »

La ministre du Travail présentait ce vendredi une vaste loi sociale sur la formation professionnelle, l’apprentissage et le chômage, en évitant soigneusement les principaux points d’interrogation.

Erwan Manac'h  • 6 avril 2018 abonné·es
Le gouvernement durcit le contrôle des chômeurs et saborde le « paritarisme »
© photo : Ludovic marin / AFP

La presse était conviée ce vendredi au ministère du Travail, rue de Grenelle, pour la présentation du second acte de la « révolution copernicienne » amorcée depuis un an par le gouvernement avec les ordonnances sur le Code du travail. L’imposant projet de loi en préparation depuis l’automne aborde pêle-mêle le durcissement du contrôle des chômeurs, la refonte en profondeur du système de formation professionnelle et de l’apprentissage. Il est aussi censé ouvrir un droit à l’indemnisation du chômage pour les démissionnaires et indépendants.

La ministre du Travail se livre à une heure de « retape » des annonces déjà révélées par voie de presse ces dernières semaines, mais brille surtout par son art de botter en touche et son souci manifeste d’arrondir les angles. À commencer par l’intitulé de la loi lui-même, _« pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».

Les principales inquiétudes des syndicats demeurent donc entières, et devraient le rester jusqu’au débat parlementaire qui débutera après la présentation en conseil des ministres le 27 avril, voire plus longtemps.

Réformer par décrets

Le flou est surtout entretenu par des trous béants dans le texte de loi. Sur plusieurs points en effet, le gouvernement remet les décisions qui fâchent à la phase des décrets d’application, qui suivra le vote de la loi.

C’est le cas pour l’évolution du système de cumul emploi-chômage, la « permittence », pour le demandeur d’emploi qui travaille à temps partiel. Le gouvernement se donne la possibilité de modifier par décret les règles de cumul allocation-rémunération, mais ne dévoile pas ses intentions précises quant à l’objectif visé. Il se contente de marteler qu’il jouera désormais un rôle actif dans le pilotage du dispositif. « Rien de plus rien de moins », élude la ministre, interrogée à plusieurs reprises.

Idem pour l’agence « France compétence », que la loi va créer pour unifier le pilotage de la formation professionnelle, dans chaque région. Muriel Pénicaud assure que les « partenaires sociaux » resteront copilotes au sein du futur organisme, sans néanmoins s’engager formellement sur l’équilibre des pouvoirs.

Il s’agit d’un sujet d’inquiétude majeur pour les syndicats de salariés comme pour les organisations patronales, qui craignent de voir s’amenuiser les prérogatives que leur confère aujourd’hui le « paritarisme », pilier du système social français. Au point que certains représentants patronaux réfléchissent à déserter les organismes paritaires, s’ils devaient servir de « faire valoir » au gouvernement, sans véritable marge de manoeuvre. « Nous avons choisi de ne pas nationaliser l’assurance chômage, mais l’État aura un rôle de régulateur [notamment] sur la trajectoire financière », a tranché Muriel Pénicaud ce 6 avril, confirmant les inquiétudes des syndicats.

Le gouvernement perpétue également une méthode utilisée pour la réforme de la SNCF : une concertation est lancée en même temps que l’examen au Parlement de la loi. Les mesures issues de la concertation intégreront la loi au fil du temps, par voie d’amendement. Il procédera selon cette méthode expéditive pour des mesures concernant l’emploi des personnes handicapées et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il gagne ainsi le temps du passage en Conseil d’État et de l’étude d’impact.

Durcir le contrôle, pour « prévenir le découragement »

La ministre a déployé beaucoup d’énergie à enrober le projet de réforme du contrôle des chômeurs, une démarche motivée selon elle par un souci « d’accompagnement des demandeurs, plus en amont ».

La liste des mesures renforçant le contrôle est pourtant éloquente :

  • Multiplication par cinq du nombre d’agents de contrôle d’ici à 2020 (de 200 à 1 000) ;
  • Expérimentation d’un « journal de bord numérique » personnel pour chaque chômeur (une demande du Medef) ;
  • Personnalisation, dans les agences et en fonction du profil de chaque demandeur d’emploi, des « offres raisonnables d’emploi » dont le refus répété vaut une radiation ;
  • Refonte de l’échelle des sanctions ;
  • Transfert du pouvoir de supprimer les allocations des préfectures vers Pôle emploi.

Muriel Pénicaud nie tout durcissement et présente ce nouvel arsenal comme une « approche plus préventive, plus précoce et plus juste », destinée à « repérer les demandeurs qui se découragent », pour leur remettre le pied à l’étrier. Elle consent néanmoins que la loi vise à sanctionner davantage « la petite minorité » qui ne cherche pas de travail.

« Ils ne sont peut-être pas nombreux, mais il ont un effet sur la perception de justice des autres », pointe Muriel Pénicaud. Une récente étude de Pôle emploi montre en effet que seulement 14 % des demandeurs d’emploi contrôlés n’ont pas été en mesure de prouver leur recherche d’emploi. Mais, surtout, deux tiers d’entre eux ne percevaient aucune allocation.

Le gouvernement s’attend-il à une augmentation des radiations administratives, en conséquence de ce durcissement du contrôle des chômeurs, à même de faire baisser les chiffres du chômage ? Pas de réponse de la ministre.

La multiplication par cinq du nombre de contrôleurs d’ici à 2020 se fera-t-elle par des embauches nettes ou des transferts d’effectifs d’agent de Pôle emploi ? « Le sujet sera en discussion au cours de l’année 2018 », élude Muriel Pénicaud, qui évite ainsi de trancher un sujet en cours de négociation avec la direction de Pôle emploi, qui a vu ses effectifs diminuer en 2018 d’environ 300 postes, suite à des restrictions budgétaires (sur 47 000 équivalents temps plein).

« Big bang » dans la formation

Sans surprise, Muriel Pénicaud insiste surtout sur la réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage. « La compétence, dit-elle, est la meilleure des protections et le meilleur des investissements sur l’avenir. » Il s’agit, ajoute la ministre, de « gagner la bataille mondiale des compétences ».

La réforme exposée constitue un big bang du système de formation tel que nous le connaissons aujourd’hui. Le droit individuel à la formation sera désormais exprimé en euros et non plus en heures, afin de créer un marché de la formation plus dynamique. Une mesure qui faisait l’unanimité contre elle chez les syndicats, qui craignent un « effet inflationniste ». La réforme instaure un nouveau mode de pilotage et de certification des instituts de formation, accent mis sur les PME. Le tout accompagné d’une enveloppe de 15 milliards d’euros pour former 1 million de jeunes et de demandeurs d’emploi peu qualifiés. Les règles de l’apprentissage seront aussi remodelées, notamment avec la possibilité de signer des contrats d’apprentissage en cours d’année, ce qui suppose une réorganisation des Centres de formation des apprentis. La limite d’âge pour une formation est portée de 25 à 29 ans révolus et les apprentis mineurs pourront travailler jusqu’à 40 heures par semaine, contre 35 heures aujourd’hui.

Sans nouvelles de « l’assurance chômage universelle »

Muriel Pénicaud est moins loquace, en revanche, quant à l’ouverture des droits à l’indemnisation du chômage aux indépendants et aux démissionnaires. Cette promesse de campagne, que personne ne semblait prêt à défendre ni chez les syndicalistes ni dans la majorité, s’est en effet largement dégonflée au fil du temps.

La loi aboutit finalement sur un forfait « de première urgence » de 800 euros par mois pendant six mois pour ceux qui sont en liquidation judiciaire, justifiant d’un certain niveau de chiffre d’affaires (30 000 euros selon les hypothèses de travail du gouvernement). Les démissionnaires, eux, auront droit au chômage s’ils ont travaillé pendant cinq ans et peuvent présenter un projet professionnel validé par une commission ad hoc (une mesure qui existe déjà dans une série de cas définis par la loi).

On est loin de l’équilibre entre flexibilité et sécurité que le projet de loi présenté ce matin était censé apporter, en compensation des ordonnances sur le Code du travail.

Travail
Temps de lecture : 7 minutes

Pour aller plus loin…

« La question du partage du travail fait son retour »
Entretien 20 mars 2024

« La question du partage du travail fait son retour »

Le sondage réalisé par l’Ifop pour Politis révèle qu’une très large majorité de Français seraient favorables à l’instauration de la semaine de 4 jours, à 32 heures payées 35 heures, dans le public comme dans le privé. Décryptage par Chloé Tegny, chargée d’études sénior de l’institut.
Par Michel Soudais
Mort au travail : pour Jemaa, l’interminable recherche de justice
Travail 20 mars 2024 abonné·es

Mort au travail : pour Jemaa, l’interminable recherche de justice

Jemaa Saad Bakouche a perdu son compagnon, victime d’un accident sur un chantier en 2019. Malgré plusieurs manquements soulevés par l’inspection du travail et la justice, le chef d’homicide involontaire n’a pas été retenu par les juges. Elle a décidé de se pourvoir en cassation.
Par Pierre Jequier-Zalc
« La semaine de 4 jours est possible et pleine d’avantages pour tous »
Entretien 20 mars 2024 abonné·es

« La semaine de 4 jours est possible et pleine d’avantages pour tous »

Député européen (Nouvelle Donne), Pierre Larrouturou est engagé depuis plus de trente ans en faveur des 32 heures payées 35. Il explique ici les raisons de cette conviction et répond aux critiques récurrentes contre une telle mesure.
Par Olivier Doubre
La semaine de 32 heures en 4 jours, l’idée que plébiscitent les Français
Enquête 20 mars 2024 abonné·es

La semaine de 32 heures en 4 jours, l’idée que plébiscitent les Français

Derrière la semaine de quatre jours se cachent, en réalité, de nombreux paramètres. Si elle ne s’accompagne pas d’une réduction du temps de travail, tout indique qu’elle s’avérerait une fausse bonne idée.
Par Pierre Jequier-Zalc