Sortir de l’impasse capitaliste

Le capitalisme tire sa résilience de sa capacité à faire adhérer les populations à sa dynamique.

Jean-Marie Harribey  • 5 septembre 2018 abonné·es
Sortir de l’impasse capitaliste
© photo : DANIEL PIER / NURPHOTO

La démission de Nicolas Hulot marque un triple échec, bien au-delà du sien face aux lobbys et à un gouvernement aux ordres de la finance. La société tout entière est confrontée à trois défis qu’elle ne sait pas ou ne veut pas affronter.

Le premier, le plus fondamental car il détermine largement les deux autres, est la réticence – sinon le déni – à voir dans la dégradation écologique et le réchauffement du climat un effet direct du capitalisme, cette « immense accumulation de marchandises » (Marx) sans autre boussole que la course au profit. Jusqu’aux trois quarts du XXe siècle, le capitalisme surmontait ses crises et relançait son accumulation en éliminant ses maillons faibles, en concentrant le capital et en concédant des hausses de salaires qui stimulaient les débouchés et une régulation publique qui encadrait le marché. Dans un monde que la circulation des capitaux a globalisé tout en dévoilant ses limites, l’accumulation de capital patine et trouve un palliatif temporaire dans les placements financiers et la marchandisation des biens publics et communs. La monnaie est alors confisquée au service de la financiarisation et de la centralisation des rentes tirées des nouvelles techniques. Mais le mirage de la croissance verte se heurte à la difficulté de faire jaillir toujours plus de valeur d’une force de travail trop exploitée, sur une base naturelle épuisée. Le monde atteint le bout de la marchandisation « de la terre, du travail et de la monnaie » (Polanyi).

Le deuxième échec est, partout, celui des gouvernements et tout particulièrement du nôtre. Quelques mois ont suffi pour dégonfler la baudruche macronienne et faire apparaître la brutalité, le cynisme et finalement la bêtise d’une présidence fondée sur l’illusion qu’on pouvait bâtir un « nouveau monde » en accentuant les pires travers de l’ancien. Brutalité car le travail est essoré par tous les côtés : droit du travail amenuisé, services publics à l’abandon pour mieux préparer leur privatisation, protection sociale assimilée à un « pognon de dingue ». Cynisme du ruissellement à l’envers : du bas vers le haut par le biais de la fiscalité, pendant que la « valeur pour l’actionnaire » nourrit des dividendes croissants. Bêtise pour remettre toujours à plus tard la transition écologique. En un mot, « l’imposture Macron (1) », car la démocratie s’effiloche à mesure que pouvoir et richesse se concentrent.

Le troisième échec est celui du corps social tout entier. Pourquoi « tout le monde s’en fiche », dixit Hulot ? Le capitalisme tire sa résilience de sa capacité à faire adhérer les populations à sa dynamique en canalisant l’angoisse existentielle à travers une consommation toujours croissante et renouvelée. La crainte de la mort trouve un exutoire dans le fantasme de l’accumulation infinie en guise d’éternité. Ainsi, le capitalisme transforme la réalité vivante en objet de valeur économique, en faisant de l’être humain et de la nature très concrets des abstractions taillables à merci et interchangeables. D’où, simultanément, la fuite en avant capitaliste et l’aveuglement populaire devant la nécessité de concilier social et écologie. Sortir de cette impasse pourrait être l’ultime message du ministre Hulot.

(1) L’Imposture Macron, Attac et Fondation Copernic, LLL.

Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac.

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