Benjamin Griveaux : fake news sur le chômage

« Régler le chômage de masse » n’a pas grand-chose à voir avec la faiblesse du taux de chômage officiel.

Jean Gadrey  • 13 février 2019 abonné·es
Benjamin Griveaux : fake news sur le chômage
© crédit photo : LUDOVIC MARIN / AFP

Benjamin Griveaux a publié en 2012 un livre intitulé Salauds de pauvres ! Pour en finir avec le choix français de la pauvreté. Alors socialiste, il s’y insurgeait contre la stigmatisation par la droite des pauvres et des chômeurs. Il aurait pu inspirer sur certains points l’excellent livre d’ATD Quart Monde En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté (2013, rééd. 2017).

Depuis, Griveaux est passé de la dénonciation des fake news à leur production en série. Le 7 janvier, sur France Inter, il déclarait : « Toutes les autres grandes démocraties occidentales, en mettant de côté l’Espagne et le Portugal, ont réglé le problème du chômage de masse, toutes. Nous sommes les seuls à avoir un taux de chômage à 9 % quand tous les autres sont entre 4 et 6 %. »

C’est faux d’abord sur les chiffres : les pays européens où le chômage est plus élevé qu’en France ne sont pas « l’Espagne et le Portugal », mais Chypre, la Grèce, l’Italie et l’Espagne. L’ensemble de la zone euro est à 7,9 % en novembre 2018 et la France à 8,9 %. Et parmi les 19 pays de la zone euro, 9 ne sont pas dans la « fourchette Griveaux » des 4 à 6 %.

C’est faux ensuite, et surtout, parce que « régler le chômage de masse » n’a pas grand-chose à voir avec la faiblesse du taux de chômage officiel. Le chômage est énorme en France et il coûte très cher aux finances publiques (environ 100 milliards d’euros par an). Mais les autres grands pays ne sont pas mieux lotis, même si la privation d’emploi y prend des formes diverses.

Prenons le cas des États-Unis, avec un taux officiel de 3,9 %. Jim Clifton, président de l’institut Gallup, évoquait en 2015 « le grand mensonge du chômage ». Selon lui, « 30 millions d’Américains sont soit exclus involontairement du monde du travail, soit en situation de sous-emploi sévère ». En les ajoutant aux 8,55 millions de chômeurs officiels en 2015, on obtenait un taux de chômage au sens large de 24,3 %, alors que le taux officiel était de 5,6 %. Estimation confirmée par les « ShadowStats », selon lesquelles le taux de chômage états-unien était de 21,4 % en décembre 2018, pour un taux officiel de 3,9 %.

L’Allemagne ? Le taux de chômage officiel y est de 3,3 %, record dans l’UE avec la République tchèque. Aurait-elle « réglé le problème du chômage de masse » ? Pas plus qu’aux États-Unis, vu l’explosion du nombre de « mini-jobs » : moins de 450 euros mensuels, aucune protection sociale. 7,8 millions d’Allemands (surtout des femmes) ont ce statut ; 5,4 millions ne font que cela, près de 4 fois plus que le nombre de chômeurs officiels. En ajoutant les deux, on obtiendrait pour l’Allemagne un taux de chômage de 16 %. Et bien plus avec les travailleurs découragés.

« Régler le problème du chômage de masse » de cette façon, surtout sur le dos des femmes et des jeunes, ça vous tente pour la France ? Peut-on encore parler d’un emploi quand on est payé moins de 450 euros et qu’on n’a ni protection sociale ni retraite ?

Jean Gadrey Professeur émérite à l’université de Lille-I.

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