Génération·s, proche de tous et d’aucun

Le parti de Hamon est nourri d’idées qui traversent toute la gauche. Mais sa stratégie, elle, ne colle ni à LFI, ni à EELV.

Agathe Mercante  • 13 février 2019 abonné·es
Génération·s, proche de tous et d’aucun
©photo : Au lancement de la liste Génération·s pour les élections européennes, le 6 décembre 2018, à Paris. crédit : Laure Boyer/AFP

Leur logo ? Un « G » blanc sur un fond rayé où se mêlent différent camaïeux de bleu turquoise et de rouge framboise. Ni vraiment vert, ni vraiment rose, tout à la fois écologiste et de gauche, Génération·s, le mouvement de Benoît Hamon lancé en juillet 2017 après son départ du Parti socialiste, reste bien difficile à définir. « Nous sommes humanistes et écologistes », résume Mehdi Ouraoui, l’un de ses porte-parole et ancien membre du bureau national du PS – comme tant d’autres dans le nouveau parti. Bien sûr, il serait injuste de juger une personne sur ses anciennes fréquentations mais, chez Génération·s, l’influence ou le rejet de certains de ses « ex » interroge. Un premier constat, dressé par Benoît Hamon lui-même, c’est que le PS, incapable de se réformer en profondeur, était voué à s’éteindre. « À mon sens il l’a fait trop tôt. Il pensait en 2017 que c’était le moyen de prendre acte du décès du PS et d’essayer d’occuper cet espace », analyse Jean-François Debat, trésorier de campagne à l’époque et désormais en charge du volet programmatique vert des socialistes. « Ce pari est raté mais cela n’empêche pas de partager avec lui une réalité : la gauche doit se repenser, se dépasser et elle ne peut le faire qu’en prenant acte aussi des différences qui existent entre nous », plaide-t-il. Mais quelles sont-elles, ces différences, après tant d’années passées ensemble ? À entendre certains socialistes, il n’y en a pas. « Rien ne justifiait leur départ », tance Julien Dray, amer.

Une rancœur, ensuite, celle de l’austérité imposée durant les cinq ans du quinquennat Hollande. « Les socialistes se couchent face à l’Europe. Hollande promettait de revoir les traités de libre-échange, il les a fait ratifier ! », s’indigne l’ancien frondeur Pascal Cherki. Rallié à Génération·s, il reconnaît qu’Olivier Faure est allé dans la bonne direction, le 28 janvier dernier, en dressant un bilan accablant du quinquennat, mais, pour autant, cela n’efface en rien la « trahison » de cette gauche. « Je n’aime pas le terme trahison, il se réfère à la morale et en politique, il n’y pas de morale », indique – cynique – Julien Dray. Au PS donc, on préfère ne pas exhiber ces désaccords et insister sur les points communs. « Nous sommes d’accord en particulier sur l’importance de placer la transition écologique et solidaire non comme un sujet parmi d’autres, mais au cœur du projet politique », explique Jean-François Debat. Un calcul judicieux. Benoît Hamon n’est-il pas le représentant de la gauche-écolo compatible ? « Il a gagné la primaire sur le sujet de l’écologie, rappelle David Cormand, alors qu’il avait face à lui François de Rugy, ancien d’Europe écologie-Les Verts, et l’ex-eurodéputé Jean-Luc Bennahmias », constate le secrétaire national d’EELV. Alliés pour la présidentielle 2017, les deux partis ont depuis coupé les ponts, et feront chacun cavalier seul aux élections européennes. « Un rendez-vous manqué, selon David Cormand. Après avoir gagné la primaire, il est retourné vers son statut originel : la gauche. »

Séparés de ces formations pourtant proches idéologiquement, les cadres de Génération·s ne souhaitent pas répondre aux sirènes qui les somment de choisir. Bigarré, le parti défend tout aussi bien le socialisme au sens pur – répartition des richesses, lutte contre les inégalités sociales et fiscales – que l’écologie. « Pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut remettre en cause l’économie fondée sur les énergies fossiles, donc le capitalisme », explique Pascal Cherki. Avec les Verts, la rupture a été consommée par une divergence stratégique qui les oppose désormais, puisque les Cormand, Jadot et consorts tentent de s’extraire d’un clivage gauche-droite qui leur apparaît comme archaïque. « En s’élevant sur l’Aventin écologiste, EELV oublie la bataille sociale, déplore Pascal Cherki. Nous croyons au clivage entre le camp du travail, traditionnellement la gauche, et celui du capital, traditionnellement la droite. » Et de rappeler : « Ceux qui disent n’être ni de droite ni de gauche, historiquement, c’est surtout l’extrême droite. » Un tacle à l’intention des écolos, mais aussi de La France insoumise.

Les différences entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon sont plus visibles qu’ailleurs, même si les deux mouvements appartiennent à la même famille et que l’écologie politique fait consensus. « Nous partageons le constat qu’il y a une crise de l’égalité et donc de la République », indique Pascal Cherki. Voilà pour les ressemblances. Et si tous les partis de gauche s’accordent à dire qu’il faut réviser les traités européens, la stratégie plan A, plan B de La France insoumise passe mal. « Nous voulons des solutions européennes. Dans l’affrontement face au capitalisme, il faut l’Europe, les pays isolés n’ont pas de voie de sortie », indique Pascal Cherki. Une idée partagée par EELV… mais beaucoup moins par les communistes. De tous les partis de gauche, le PCF est pourtant celui avec lequel Génération·s maintient des échanges, et la perspective d’une liste commune aux européennes se dessine. Les deux formations disposent cependant d’électorats bien différents. « Le PCF est d’abord implanté dans des territoires très populaires, Génération·s séduit plus dans les grandes métropoles », résume Ian Brossat, tête de liste des communistes.

Au petit jeu des – nombreux – points en commun et inspirations, Génération·s apporte sa touche personnelle, inédite dans le paysage de la gauche actuelle : le travail. « Les autres partis ont une vision très keynésienne du monde du travail » , analyse Pascal Cherki. Défendu durant la campagne présidentielle, le revenu universel reste la pierre angulaire du programme de Génération·s. Mais le parti de Benoît Hamon n’est plus seul sur cette ligne ténue entre gauche, écologie et progressisme. Place publique, le mouvement lancé par l’essayiste Raphaël Glucksmann – qui a notamment rédigé le discours du candidat Hamon à Bercy, le 19 mars 2017 –, l’écologiste Claire Nouvian et l’économiste Thomas Porcher lui en disputent désormais la primeure. « Ils apportent une touche plus sympa et plus neuve », constate David Cormand. Directement issue des rangs idéologiques de Génération·s et du PS, cette formation qui revendique 20 000 adhérents œuvre pour l’heure à une union à gauche. Mais en cas d’échec, elle pourrait bien elle aussi concourir aux élections européennes et reléguer – chacun son tour – le mouvement de Benoît Hamon au rang d’ex…

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