Le funk sacré

Le saxophoniste et journaliste Belkacem Meziane a sélectionné cent albums incontournables de l’histoire de cette musique festive et exigeante.

Pauline Guedj  • 25 juin 2019 abonné·es
Le funk sacré
© crédit photo : Isaac Brekken/AFP

Cela fait quelques semaines que la légende du funk George Clinton est en tournée aux États-Unis. Cette tournée, l’artiste l’a voulue comme un événement : il a 78 ans, ce sera sa dernière. La fin d’une époque ? Oui, parce que la folie des concerts de George ­Clinton nous manquera ; non, parce qu’avant de prendre sa retraite, le maître a pris soin de transmettre sa musique au collectif qui l’entoure sur scène.

George Clinton, ses concerts de plus de trois heures, son imagerie afro-futuriste, ses paroles hédonistes et ses arrangements vocaux sophistiqués sont au cœur de l’histoire du funk à laquelle Belkacem Meziane vient de consacrer un livre richement documenté. À lui seul, Clinton rassemble beaucoup des caractéristiques de cette mouvance apparue au milieu des années 1960 autour de James Brown et Sly Stone. Le funk est une musique du corps, nous dit Meziane, élaborée autour du marquage du premier temps de la mesure et atteignant son paroxysme en concert. À Paris, au cours de certaines prestations, notamment de George Clinton (encore lui) au Hot Brass ou au Bataclan, s’est formée une véritable communauté d’aficionados. Belkacem Meziane est l’un d’entre eux.

Depuis 2006, Meziane organise des conférences dans divers lieux parisiens, tels que bars et médiathèques. Là, il a su allier une connaissance encyclopédique du funk, un intérêt pour ses structures musicales (il est saxophoniste), mais aussi une sensibilité à l’histoire sociale de la communauté noire américaine. Cette richesse se retrouve dans la foisonnante introduction de son livre, où, autour de titres de chanson, il se concentre sur des figures ou des thèmes de son histoire. « I’m A Woman », de Rufus & Chaka Khan, est l’occasion de s’intéresser à la position des femmes dans la musique ; « It Ain’t Nothing but a Warner Bros Party », de Graham Central Station, permet d’évoquer la question des labels et des productions ; « Mister Bass Man », de Fatback Band, celle de la basse et des ­sections rythmiques.

Chemin faisant, Belkacem Meziane définit le funk dans ses relations avec la soul, le rock, le jazz et le disco, et parvient à mettre en lumière cet équilibre passionnant entre les individualités du funk et sa géographie divisée en plusieurs régions, avec chacune son son et ses traditions (New Jersey pour Clinton, Géorgie pour James Brown, San Francisco pour Sly Stone, Dayton pour les Ohio Players, Minneapolis pour Prince).

Passé l’introduction, le livre prend la forme d’une anthologie dans laquelle sont décortiqués les cent albums sélectionnés par l’auteur. Chaque lecteur pourra prolonger la réflexion, contester certains choix, en avancer d’autres : c’est le jeu de ce type d’ouvrage. Les notices sont toutefois toutes précisément détaillées, et l’auteur a fait le choix judicieux de ne pas arrêter ses recensions aux années 1980. En évoquant Dr. Dre, Snoop Dogg, Roy Hargrove ou Amp Fiddler, Meziane montre lui aussi que le funk est une affaire de transmission et que cette musique a été le point d’ancrage du hip-hop et de la « neo soul ».

On the one ! L’histoire du funk en 100 albums, Belkacem Meziane, Le Mot et le reste, 252 pages, 20 euros.

Musique
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