Tu veux une médaille ?

François de Rugy dégustait du homard tandis que d’autres mangeaient de la matraque. Le premier a démissionné, les matraqueurs ont été récompensés par Christophe Castaner.

Agathe Mercante  • 23 juillet 2019 abonné·es
Tu veux une médaille ?
© photo : Christophe Castaner a distribué des breloques qui font honte. crédit : Karine Pierre/AFP

D e Rugy démissionne. Mais l’éborgneur Castaner est toujours là et l’embastilleuse Belloubet aussi. Steve vaut moins qu’un homard ? », dénonçait sur Twitter Jean-Luc Mélenchon le 16 juillet, au plus fort de l’affaire dite du « Homardgate », du nom des crustacés consommés par le désormais ex-ministre de l’Écologie et sa femme lors de dîners donnés à l’hôtel de Lassay, du temps où François de Rugy était encore président de l’Assemblée nationale.

Une manière comme une autre de mettre en lumière l’indécence du gouvernement, qui a mis les bouchées doubles pour faire cesser cette affaire de frais de bouche et a remplacé fissa Rugy par Élisabeth Borne mais n’a, pour l’heure, pas bougé le petit doigt pour retrouver Steve Maia Caniço, Nantais de 24 ans poussé dans la Loire par une charge de la police le soir de la Fête de la musique et toujours porté disparu.

Indécence encore, celle du ministre bringueur de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui a décoré de la médaille de la sécurité intérieure les policiers qui ont violemment chargé des gilets jaunes, entre autres, comme le révélait Mediapart le 17 juillet. Voyez plutôt : Bruno Félix, commandant des CRS auteurs des tirs qui ont touché mortellement Zineb Redouane, ou encore Rabah Souchi, qui a ordonné la charge de police à Nice qui blessa Geneviève Legay. Connus de l’Inspection générale de la police nationale, ils ont été décorés bien qu’ils soient sous le coup d’une enquête administrative ou judiciaire pour violences policières. Si Castaner a prévenu que la distinction leur serait retirée en cas de condamnation, ces médailles font désordre. Elles rappellent tristement qu’en France on récompense la violence d’État.

Pendant que le peuple se révoltait pour quelques centimes de plus à la pompe – preuve s’il en fallait encore que certains sont à l’euro près pour boucler leurs fins de mois –, le président de l’Assemblée nationale et ses convives se régalaient de homard arrosé de Mouton-Rothschild 2004 (environ 500 euros la bouteille) et de champagne. Loin, donc, des coups de matraque, charges violentes et tirs de LBD que l’on sert dans les rues à ceux qui s’en offusquent.

Bien sûr, on arguera pour justifier ces violences que les gilets jaunes ont eux aussi été les auteurs de violences – et c’est partiellement vrai. Et cela justifiera que les « représentants de l’ordre public » fassent leur travail. Ce qui est condamnable, en revanche, c’est la dérive policière, l’outrance des représentants, les minables excuses, quand il y en a, présentées aux victimes. Si le gouvernement s’inquiète de son image, limoge Rugy (qui affirmait pourtant, larmoyant sur BFM TV, être « allergique » aux fruits de mer et indisposé par le champagne, qui lui donne « mal à la tête ») et récompense les forces de l’ordre soupçonnées de dérives, c’est parce que l’opinion publique – et les relais médiatiques qu’on lui offre – l’y encourage. Il est évidemment plus facile, pour un citoyen, de mesurer l’indécence d’une caste par son panier de courses que par la violence et l’autoritarisme dont elle fait preuve. Pourtant, se gaver sur le dos des Français et matraquer le peuple quand il se révolte sont les deux faces d’une même pièce.

« C’est une affaire de mesure, analyse Jean-Christophe Picard, président de l’association Anticor. L’opinion publique s’émeut d’abus simples à comprendre. Le vin à 500 euros frappe plus les esprits que les 13 milliards d’euros de dérapage du Grand Paris. » À cette tolérance sélective s’ajoute une pratique bien française. « Les affaires de frais de bouche sont assez courantes : souvenez-vous des 4 000 euros dépensés chaque jour par l’Élysée du temps de Jacques Chirac », rappelle Jean-Christophe Picard. Les affaires de fraude fiscale, en revanche, ne sont pas aisément compréhensibles : montages compliqués, prête-noms… Les ressorts pour cacher des détournements aux électeurs et aux juges sont nombreux. Pourtant, même quand les faits sont avérés, certains citoyens se montrent encore complaisants. Isabelle et Patrick Balkany en sont de parfaits exemples. Condamné une première fois en 1997 pour « prise illégale d’intérêt », le maire de Levallois-Perret a été réélu trois fois ! « On appelle ça une “prime à la casserole” », indique le président d’Anticor.

Cette absence de réaction, on la retrouve aussi quand Emmanuel Macron souhaite à ­Geneviève Legay un bon rétablissement et « une forme de sagesse », ou encore quand des représentants de gauche, comme Ségolène Royal, justifient des interventions musclées. N’avait-elle pas défendu l’interpellation de lycéens de Mantes-la-Jolie par ce commentaire : « Ça fera un souvenir à ces jeunes », sans susciter beaucoup d’indignation ?

L’opinion tend pourtant à évoluer à mesure que l’indécence du gouvernement se renforce et que son extrême violence éclate au grand jour. Le 20 juillet, les rangs de la marche pour la mémoire d’Adama Traoré, tué le 19 juillet 2016 lors d’une interpellation, s’étaient étoffés par rapport aux précédents rassemblements. Gilets jaunes, gilets noirs sans-papiers, militants écologistes : ils étaient nombreux à manifester contre les violences policières.

« Auparavant, les méthodes musclées étaient réservées à mater les manifestations dans les quartiers populaires, maintenant ces violences sont perpétrées sur les gilets jaunes et sur tous les autres », constate Youcef Brakni, membre du comité Vérité et justice pour Adama. « Christophe Castaner a eu raison de décorer ces policiers, raille-t-il. Le système sait à qui il doit sa survie. » « Lors des premiers actes des gilets jaunes, le gouvernement était claquemuré, il y avait même un hélicoptère dans la cour de l’Élysée pour exfiltrer Emmanuel Macron si besoin, rappelle-t-il. Il ne doit son salut politique qu’à la police. »

Mais ce tournant sécuritaire n’a pas attendu Emmanuel Macron pour s’opérer. Déjà sous Nicolas Sarkozy, des mesures radicales avaient été prises ; sous François Hollande, c’était l’état d’urgence. Le petit jeu de l’indécence des gouvernants, de l’indignation des Français, de la manifestation puis de la répression sanglante peut donc se poursuivre sans entraves… jusqu’à ce que les citoyens, par les urnes, y mettent fin.

Politique
Temps de lecture : 6 minutes