Coronavirus : Vous avez voulu « la guerre », vous l’aurez !

En stigmatisant le comportement des Français face à l’épidémie de coronavirus, le président Macron cherche à masquer une gestion bien peu rationnelle de la crise sanitaire.

Patrick Piro  • 18 mars 2020 abonné·es
Coronavirus : Vous avez voulu « la guerre », vous l’aurez !
© Ibrahim Ezzat/NurPhoto/AFP

La situation est grave, singulière, exceptionnelle, c’est entendu. Et l’état de confinement drastique décrété lundi 16 au soir par le président de la République pour contrer l’épidémie de Covid-19 n’appelle aucune polémique. « Restez chez vous, ne sortez qu’en cas de nécessité avérée » : pour la première fois même, le gouvernement semble avoir un coup d’avance sur le développement de la crise sanitaire. « Nous sommes en guerre », a scandé Macron (à six reprises).

Il était plus que temps. Car le gouvernement agissait jusqu’à présent à la petite semaine, en spadassin qui pare les coups en reculant. Certes, la connaissance de ce coronavirus est encore insuffisante. Cependant, sa grande facilité à se propager, la mortalité induite et plus encore la capacité du système sanitaire français à faire face à l’épidémie n’ont pas connu dans la période de nouveautés substantielles pour que soit justifiée, à rebours, une cascade de mesures marquées, en un temps très court, par un crescendo de radicalité qui fait désordre. Ainsi, le 5 mars, interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes en milieu clos. Ce plafond tombe à 1 000 personnes dès le 8 mars, puis à 100 personnes le 13 mars, jusqu’au confinement presque total le 16 mars. Une crise « à l’italienne » était pourtant largement prévisible depuis une dizaine de jours.

Une constante, dans cette gestion très heurtée : la suffisance du pouvoir envers la population. Au prétexte, fort louable bien sûr, de ne pas provoquer de panique, le gouvernement a usé d’une posture d’autorité qui fait sa marque de fabrique. Elle éclate dans un passage particulièrement paternaliste et culpabilisant du discours de Macron lundi soir : « Alors même que les personnels soignants des services de réanimation alertaient sur la gravité de la situation, nous avons aussi vu du monde se rassembler dans les parcs, des marchés bondés, des restaurants, des bars qui n’ont pas respecté la consigne de fermeture. Comme si, au fond, la vie n’avait pas changé. » C’est l’hôpital qui se moque de la charité : le Président, jeudi 12 mars, maintenait, lui, le premier tour des municipales au prix d’une incohérence de même nature. Il s’abrite derrière l’avis d’un aréopage de scientifiques (dont la liste n’a été rendue publique que tardivement). Mais ont-ils eu à répondre à la question suivante : « Et le 22 mars, sera-t-il raisonnable également d’envisager d’aller voter ? » Dans le même souffle qui lui faisait dire que « rien ne s’oppos[ait] à ce que les Français, même les plus vulnérables, se rendent aux urnes », Macron énonçait aux personnes de plus de 70 ans ou fragilisées l’injonction contradictoire « de rester autant que possible à leur domicile ».

Les élites de ce pays adorent se draper de « rationalité » pour mieux asséner leur point de vue, et sanctionner des comportements d’« irrationalité » pour éviter de s’interroger sur leurs ressorts psychologiques. Réagissant au pilotage à vue du gouvernement, n’y a-t-il pas une logique acceptable à ces « dernières pintes avant la fin du monde » vendredi soir encore à la terrasse des cafés, alors que les rassemblements de 100 personnes étaient encore autorisés ? (Et pourquoi pas 80 ou 120 ?) Et dans ce rab de détente sur les pelouses, dimanche, puisqu’on avait « droit », sous le soleil, d’aller voter ?

D’un côté les responsables, de l’autre d’incorrigibles grands enfants. L’allocution présidentielle poursuit, invitant à « éviter l’esprit de panique, de croire dans les fausses rumeurs, les demi-experts ou les faux-sachants ». Sont visées notamment les personnes qui se ruent dans les magasins sur les pâtes et l’huile. Et le papier toilette. Des commentateurs perchés de suffisance se délectent en sarcasmes devant le pillage des rayons PQ, inauguré fin février au Japon et propagé depuis dans plusieurs pays. Aux États-Unis, les ventes d’armes ont explosé en prévision de la fermeture des magasins. Certaines scènes de supermarché, si elles laissent pantois, doivent interroger sur la motivation de leurs acteurs. Ainsi, explique les psychologues, il y a une explication très « rationnelle » à ces stockages compulsifs, même en dehors de pénurie annoncée. Il s’agit d’un comportement de réassurance, d’autant plus exacerbé que l’angoisse est importante face à l’incertitude du lendemain… qu’entretient la gestion à vue des gouvernements. En ces temps de crise globale, quelle crédibilité ont ces derniers d’invoquer auprès des individus une responsabilité collective (les suivants craignent de n’avoir plus de PQ, ce qui alimente la ruée) ? Ce beau concept est devenu bien creux dans une société qui les a bercés des vertus du libre commerce et du libre arbitre en presque toutes circonstances.

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