« Le Cinéma par la danse », d’Hervé Gauville : Pas de deux

Consacré aux relations entre danse et cinéma, l’essai d’Hervé Gauville marque par son écriture subtile, technique et sensible.

Pauline Guedj  • 18 mars 2020 abonné·es
« Le Cinéma par la danse », d’Hervé Gauville : Pas de deux
© AFP

Il y a concomitance entre la naissance du cinéma et l’avènement de la danse moderne. Nous sommes en 1895. Pour le cinéma, tout commence par un épisode connu. Les frères Lumière organisent la première projection payante au Salon indien du Grand Café, boulevard des Capucines, à Paris. Bientôt, les cinéastes ajouteront à leur catalogue de nombreux films de danse, des danses d’amateurs, des fêtes populaires.

Pour la danse, c’est à Loïe Fuller que l’on doit l’une des révolutions du genre. Sur scène, y compris à Paris, la danseuse américaine inclut des éclairages qui interpellent les techniciens du cinéma. Dès le XIXe siècle, danse et cinéma, arts du mouvement par excellence, s’influencent l’un l’autre. Avec le temps, les deux arts iront même jusqu’à produire des expériences communes. -Hollywood crée la comédie musicale, un cinéma de la danse.

Pour Hervé Gauville, écrivain, critique de danse et de cinéma, si la concomitance entre les deux arts est une réalité historique, elle est aussi une possible lecture de leur évolution et de leur élaboration. Dans son dernier livre, il dresse ce qu’il appelle « une étude de films traversés par la danse ». Il ne s’agit pas d’un essai sur les œuvres cinématographiques « de danse » ou même « sur la danse », mais plutôt d’une réflexion sur des films dans laquelle la danse intervient pour en modifier l’histoire, accentuer certaines tendances ou donner une signification nouvelle aux événements.

Avec une grande liberté, Gauville balaie l’histoire du cinéma, alliant plusieurs thèmes, le ballet aquatique, le solo, la fête populaire, la transe, le cabaret, le biopic, et s’intéressant à un large éventail de films français, coréens, américains et italiens ; classiques, populaires, confidentiels. De ceux-ci, il montre certaines scènes, des moments pivots du récit, où le rôle de la danse est à la fois narratif et formel. Évoquant Le Guépard et sa très longue scène de bal, Gauville décrit la danse comme habitant la totalité de l’espace même lorsqu’elle n’est pas au cœur de l’action. De La vie est belle de Frank Capra il retrace avec attention la scène du charleston lors de laquelle les personnages qui participent à un concours chutent dans une piscine installée sous la piste de danse. Une première chute pour George Bailey (James Stewart) dans ce film tout entier tourné vers sa résurrection.

Gauville décrit admirablement la mise en scène, les mouvements de caméra. Mais peut-être plus encore que le cinéma, c’est quand il dépeint les danseurs, leur gestuelle et leur anatomie que son écriture est la plus subtile. Au cœur du livre, un chapitre est consacré à Rita Hayworth avec en point d’orgue une analyse de Gilda et de son célèbre solo « Put the Blame on Mame ». La danse de Rita est une « danse de l’épaule », nous dit l’auteur, avant de dresser une description détaillée de son point d’attache. « Fred Astaire s’élance depuis son plexus solaire, Gene Kelly depuis la ceinture pelvienne ». Le balancé situe Rita Hayworth « entre le visage et la poitrine ». Après Rita Hayworth, Gauville évoque avec la même sensibilité et technicité les mouvements de Kim Novak et de Marilyn Monroe et les déplacements plus gauches de Martine Carol. Découvrant le livre, le lecteur voit les danses se déployer devant lui et, lorsqu’il les connaît, affine son regard sur leur exécution.

Ici et là, on peut trouver dans l’analyse de Gauville des manques. On pourrait lui reprocher de peu s’intéresser au cinéma d’horreur, qui a pourtant laissé la part belle à la danse. On pourrait aussi regretter que l’auteur ne respecte pas toujours son pari fou d’évacuer la comédie musicale de l’analyse. Gauville lui tourne le dos, mais celle-ci parvient à pénétrer dans le récit par la petite porte, avec des analyses de ce fait parfois trop superficielles.

Toutefois, force est de constater que, lorsque le lecteur referme Le Cinéma par la danse, la précision et la maîtrise de l’écriture lui ont fait oublier ces quelques imperfections.

Le Cinéma par la danse, Hervé Gauville, Capricci, 176 pages, 22 euros. Disponible en Epub (8,99 euros) ou PDF (11,99 euros) sur le site de l’éditeur.

Littérature
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