La discontinuité pour une meilleure renaissance

Faisons pour une fois le pari du temps long afin d’imaginer des solutions nouvelles tant pour l’économie réelle que pour l’École. Un effort « de guerre » stakhanoviste fondé sur la notion d’union nationale ne ferait que reproduire le monde d’avant le Covid-19.

Rodrigo Arenas  et  Nathalie Laville  • 1 avril 2020
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La discontinuité pour une meilleure renaissance
© Photo : THIERRY THOREL / NurPhoto / NurPhoto via AFP

L’humanité est régulièrement confrontée à des épisodes épidémiques, comme celui du VIH, de la grippe ou encore d’Ebola. Mais la réponse à l’épidémie par le confinement avait été reléguée au rang des méthodes moyenâgeuses par une société sûre de sa suprématie sanitaire. Aujourd’hui, au-delà des difficultés liées au traitement dans l’urgence des malades du Covid-19, ce qui est redouté c’est la crise économique consécutive au confinement de plus d’un milliard d’êtres humains : c’est la planète entière qui s’est transformée en un immense lazaret netflixé.

Rodrigo Arenas est coprésident de la FCPE.

Nathalie Laville est adjointe au maire du XIIIe (Paris) en charge du commerce, de l'artisanat et des professions libérales.

Ce sont désormais 2 000 milliards de dollars débloqués pour relancer l’économie américaine, la BCE qui espère permettre de « financer potentiellement jusqu’à 1 800 milliards d’euros de prêts aux ménages et aux entreprises », la suspension des règles de discipline budgétaire de l’UE… Les grands de ce monde trouvent et débloquent des fonds qu’ils imaginent pouvoir renflouer leurs PIB, utilisant en cela de vieilles recettes probablement éculées, dans tous les cas inadaptées au monde de demain.

Des mesures indispensables mais non suffisantes

La mise en place de l’état de catastrophe naturelle sanitaire a dès à présent eu un impact considérable sur nos PME. En ces temps de confinement, la plupart d’entre elles ont dû fermer, d’autres ont vu leur activité ralentie du fait des difficultés d’approvisionnement, et rares sont celles qui poursuivent, voire développent leur activité. Si tous voient d’un bon œil les mesures d’accompagnement prises par le gouvernement, beaucoup restent dans l’incertitude sur les suites du confinement.

Suspendre le loyer de son commerce quand il est obligé de rester fermé, reporter le paiement de ses échéances fiscales et sociales, l’abattement de la TVA, la prise en charge du chômage technique, le paiement d’un forfait pour perte d’activité, sont autant de promesses indispensables à la survie des entreprises. Mais elles ne sont en aucun cas suffisantes car les acteurs de l’économie réelle ont et auront besoin de toutes les attentions.

Aucune assurance ne paiera pour les pertes dues à l’absence de débouchés ou la perte des stocks de commerçants comme les fleuristes ou encore les restaurateurs… Seules les banques qui savent pouvoir compter sur le soutien de l’État permettent d’assurer aux entreprises une trésorerie suffisante pour payer les salaires de leurs employés au chômage technique. Et si les loyers et les taxes sont reportés, il faudra tout de même les payer.

Imaginer des solutions différentes

Comment les PME pourront retrouver une activité suffisante pour absorber ces pertes sèches ? Comment compenser plus tard l’activité perdue aujourd’hui ? Comment s’assurer que les crédits massifs prévus par les banques ne serviront pas à sauver le vieux monde plutôt qu’à investir pour une société plus juste, plus équitable, plus écologiste ? Ne serait-il pas temps d’imaginer des solutions différentes, comme par exemple plutôt que d’augmenter nos futurs impôts pour affronter la hausse des déficits publics passer à d’autres impôts, comme la micro-taxe sur les paiements électroniques qui pourrait représenter l’équivalent du produit des impôts sur le revenu et de la T.V.A ?

L’enjeu est là : soutenir ce tissu économique local tout en lui permettant de se reconvertir. Une ambition qui prendra nécessairement du temps pour se réaliser. Faisons pour une fois le pari du temps long en repoussant la tentation de l’effort « de guerre » stakhanoviste fondé sur la notion de l’union nationale sous-tendue dans le discours de notre président Emmanuel Macron. La seule économie qui survivra sera celle qui intègre les nouvelles règles du business, par exemple les circuits courts, la relocalisation, l’arrêt du dumping social… Le XXIe siècle est là. Le monde a déjà changé.

Permettre à l’École de se réinventer

Ce qui vaut pour nos PME vaut aussi pour nos services publics. Et en particulier l’École et ses enseignants. Ceux-là même que l’on sommait de faire appliquer les gestes barrières à leurs élèves alors qu’ils n’avaient même pas accès à un pain de savon. Ceux-là encore à qui l’on a demandé d’assurer une continuité pédagogique à distance alors qu’ils n’ont jamais, ou presque, été formés aux outils numériques. C’est donc bien un plan d’investissement sur le long terme qu’il va falloir accorder à l’École, pour qu’elle se mette aux normes, qu’elle respecte la loi, qu’elle anticipe les crises, qu’elles soient climatiques ou sanitaires. Mais pas seulement.

Questionnons cette idée de continuité pédagogique : s’agit-il vraiment de poursuivre les cours comme si de rien n’était, comme si faire l’école à la maison était une ambition en soi ? Ne vaudrait-il pas mieux se demander ce que l’on souhaite transmettre à nos enfants, et surtout en temps de crise : apprendre à calculer des intégrales ou apprendre à devenir autonome ? C’est à cette grande révolution que l’école doit travailler en profitant de cette impensable rupture causée par la pandémie. Aujourd’hui, l’objet n’est pas de savoir si les enfants pourront rattraper leurs programmes en suivant des cours cet été, ni même de passer à tout prix le bac en juin… Si l’on admet que les entreprises mettront des mois à se remettre de cette crise, pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’École ? Pourquoi ne lui permettrions-nous pas de prendre le temps de se réinventer, tout comme à nos enfants le temps de se remettre du choc psychologique causé par le Covid-19 et de retrouver intelligemment leur école, d’intégrer sur plusieurs mois les savoirs qu’ils n’auront pu acquérir cette année, sans stress, sans pression. Préférons retravailler les programmes, sereinement, en valorisant autre chose que l’érudition académique.

La transition sera longue. À l’urgence, il faut privilégier le temps long, de la réflexion, afin de définir ce qui nous est commun pour nous construire un destin partagé. La seule urgence est de nous retrouver dans cet intérêt général porté par l’idéal républicain.

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