« Una Promessa », de Gianluca et Massimiliano De Serio : Dur comme des pierres

Dans Una Promessa, Gianluca et Massimiliano De Serio montrent une Italie du Sud misérable à travers la relation entre un père et son fils, alliant douleur et tendresse.

Christophe Kantcheff  • 14 octobre 2020
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« Una Promessa », de Gianluca et Massimiliano De Serio : Dur comme des pierres
© Shellac Distribution

Allongé sur son lit, Antò s’est placé la tête en bas et regarde sa mère qui s’apprête à aller travailler. La caméra a épousé son regard, pour suggérer aussi que notre monde est sens dessus dessous. Giuseppe (Salvatore Esposito), le père du petit garçon, le dit lui-même à sa femme, Angela (Antonella Carone) : c’est lui qui devrait se rendre au travail. Mais la carrière qui l’employait en tant que casseur de pierres ne veut plus de lui : un éclat lui a gravement blessé un œil.

Puis tout va très vite : Giuseppe apprend quelques heures plus tard qu’Angela s’est écroulée dans les champs où elle était embauchée comme ouvrière agricole, victime d’une crise cardiaque. À peine l’avait-on vue à l’écran qu’elle disparaît. Comme un fantôme. Il y a nombre de spectres, dans Una Promessa, morts ou vifs.

Les frères jumeaux Gianluca et Massimiliano De Serio, dont Una Promessa est le troisième long-métrage, inclinent à filmer l’Italie des invisibles : les relégués, les clandestins, les marginaux. Les deux cinéastes ont une approche naturaliste mais pas seulement. D’abord parce qu’ils se réfèrent ici à un tableau de Courbet, intitulé précisément Les Casseurs de pierres, une œuvre qui bousculait les standards esthétiques de l’époque et qui par ailleurs a disparu (elle aussi) sous les bombes de la Seconde Guerre mondiale. Ensuite parce qu’ils instillent une dose de fantastique, dont on peut croire qu’elle est liée à la manière dont l’enfant traverse des malheurs. Antò dit que son père, avec son œil blessé, a perdu ses pouvoirs magiques mais qu’il les retrouvera grâce aux gouttes curatives qu’il lui met dans les yeux. Les cinéastes jouent aussi, au début du film, sur le fait que le garçon semble avoir des visions, pouvant décrire ce que fait sa mère sur le chemin du boulot…

Devenus encore plus pauvres après la mort d’Angelica, -Giuseppe et Antò se proposent comme journaliers aux mêmes exploiteurs pour qui elle travaillait. Ce sont des tâches agricoles sous-payées qui obligent à des déplacements incessants et à vivre dans de misérables camps insalubres. Le père et le fils sont liés par la tristesse du deuil et la brutalité de leurs employeurs, maintenant entre eux un îlot de tendresse.

Le film ne joue sur aucune sensiblerie. Au contraire, il est même austère : ainsi, il se refuse à montrer un quelconque mouvement de solidarité entre le père et le fils et les migrant·es africain·es, majoritaires dans ces cultures mortifères, qui partagent les mêmes conditions. La caméra s’attarde toutefois sur un long regard qu’Antò pose sur un de ces journaliers endormis, comme s’il cherchait à approcher le secret de ces femmes et de ces hommes venu·es de loin.

Una Promessa se déroule dans une Italie du Sud brûlante dont la nature semble avoir déserté les champs, réduits à l’état de vastes et monotones terrains gorgés de pesticides et destinés aux rendements. Ce n’est certes pas une œuvre riante, mais il n’était pas utile de lui adjoindre, dans une touche finale, une dimension gore. Reste qu’à l’arrivée c’est heureusement la force implacable du film qui domine.

Una Promessa, Gianluca et Massimiliano De Serio, 1 h 44.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes
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