Gratuité des protections menstruelles : « Une mesure d’égalité »

À l’initiative de l’insoumis Bastien Lachaud, une proposition de loi vise à rendre gratuites les protections menstruelles, mais aussi à réglementer leurs composants, comme pour un produit médical.

Agathe Mercante  • 13 janvier 2021 abonné·es
Gratuité des protections menstruelles : « Une mesure d’égalité »
© Magali Cohen / AFP

Auteur d’une proposition de loi « visant à assurer la gratuité des protections menstruelles et à garantir leur sécurité sanitaire (1) », le député Bastien Lachaud insiste également sur le problème sanitaire et écologique que constituent ces produits.

Que pensez-vous de l’annonce du gouvernement d’allouer 4 millions d’euros supplémentaires à la lutte contre la précarité menstruelle ?

Bastien Lachaud : C’est toujours une bonne chose d’augmenter les budgets là où c’est nécessaire. Mais c’est largement insuffisant pour résoudre le problème de fond. La précarité menstruelle est un enjeu sociétal dans la mesure où les femmes assument un budget important qui devrait être pris en charge par la société. L’objectif ne doit être ni la charité ni un accompagnement des plus précaires, mais la vraie gratuité des protections menstruelles pour toutes et tous – car elle concerne aussi les hommes trans – et leur prise en charge par la Sécurité sociale au même titre que des produits de prévention ou des médicaments.

Vous avez déposé, en mai 2019, une proposition de loi qui allait dans ce sens. Le coût de cette mesure peut-il être trop lourd pour la société ?

La question n’est pas le coût, c’est le principe. À partir du moment où l’on estime qu’il s’agit d’une priorité, d’un objectif de société, on trouvera l’argent. Il suffit de regarder les milliards gaspillés par le gouvernement. Si l’on additionne le CICE, le crédit impôt recherche et l’absence de lutte contre la fraude fiscale, on atteint déjà une dépense publique de 100 milliards d’euros. Avec 100 milliards d’euros, nous financerons sans problème les protections menstruelles ! À titre de comparaison, et pour que l’on mesure bien que nous ne parlons pas de sommes faramineuses : en Écosse, pays qui a mis en place cette gratuité [lire page 22], l’opération coûte environ 11 millions d’euros par an.

Lire > En Écosse, la gratuité des protections menstruelles, c’est fait !

Évidemment, la population écossaise est plus faible que celle de la France, mais une simple péréquation suffit pour avoir une idée du coût que cela représenterait pour nous [137 millions]. D’autant qu’il s’agit d’une mesure d’égalité. Aujourd’hui, le fait que les femmes doivent payer leurs protections tous les mois contribue aux inégalités de genre.

Au-delà des considérations économiques, quelles questions sanitaires l’usage des protections périodiques pose-t-il ?

Aujourd’hui, les tampons et serviettes ne relèvent pas d’une réglementation spécifique. Ils sont soumis aux dispositions générales du code de la consommation. Au niveau européen, il n’existe pas d’obligation pour les fabricants de révéler la liste exhaustive des composants. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a mené en 2016 une enquête sur la sécurité et la conformité des étiquetages de ces produits et a constaté la présence de plusieurs substances chimiques. Des pesticides, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des phtalates dans les protections externes, et des dioxines et des furanes dans les tampons. Et même des pesticides interdits en Europe depuis vingt ans, comme le lindane et le quintozène ! Autant de substances aux effets cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques démontrés.

Dans un avis de juillet 2018, l’Anses (2) note que les matériaux de fabrication sont mal documentés et, pire, que les auditions des fabricants n’ont même pas permis de les caractériser de façon précise.

C’est un problème de santé publique grave. Pourquoi nos dirigeants ne font-ils rien contre ça ?

On le sait, la santé des femmes est beaucoup moins suivie, contrôlée, que celle des hommes. Et jusque très récemment, les études de médecine étaient essentiellement réservées aux hommes. Nous avons là encore un exemple des effets néfastes de notre société patriarcale sur la santé de millions de femmes. Il y a un tabou sur le sujet. Les règles sont encore considérées comme si impures et sales que, dans les publicités, le liquide n’est pas rouge comme le sang, mais bleu. Les serviettes, elles, sont d’un blanc immaculé.

Ce blanc immaculé pose lui-même problème parce qu’il est obtenu grâce à l’action du chlore et qu’il peut être à l’origine de la formation des dioxines et des furanes. Certes, on constate aujourd’hui des avancées, et des marques prennent l’initiative de commercialiser des produits bio ou sans chlore. Mais elles ne sont pas liées par une quelconque réglementation, elles répondent simplement aux interrogations de l’opinion publique.

Votre proposition de loi inclut également un volet écologique…

Nous en avons rappelé deux : la gratuité et l’accessibilité à toutes et à tous, d’une part, et l’innocuité sanitaire, d’autre part, pour que l’on traite les protections périodiques de la même façon que les médicaments. Le troisième volet concerne la possibilité de réutiliser les protections. Ce fameux cœur absorbant des tampons et des serviettes est composé de polymères superabsorbants. Et le seul polymère superabsorbant qui existe est le polyacrylate, un dérivé de pétrole. Donc un plastique. En clair : les protections menstruelles sont des plastiques non recyclés, non recyclables et qui vont mettre des centaines d’années à se détruire, voire devenir des microparticules qu’on va retrouver dans les océans. C’est donc également un problème environnemental.

N’est-ce pas contraignant et coûteux de revenir aux protections réutilisables ?

C’est un enjeu d’éducation. Il faut en finir avec ce tabou des règles « sales » et former les jeunes filles, mais aussi les jeunes hommes, à cette nécessité de la réutilisation. Et il faut aussi leur en donner les moyens. J’ai demandé l’ouverture d’une commission d’enquête sur les toilettes dans les établissements scolaires. Parce que les premières règles arrivent généralement au collège ou au lycée, et que les équipements d’hygiène dans les établissements sont souvent déficitaires. Comment voulez-vous demander à une adolescente d’utiliser une cup ou des serviettes lavables quand on ne lui donne pas les moyens de se changer, de nettoyer et de stocker ces protections ?

Si nous arrivions à mettre ces mesures en place et que nous évitions le matraquage publicitaire des marques de produits jetables, nous pourrions aussi contrôler ces produits et leur interdire l’accès au marché français. Cela coûterait moins cher à la Sécurité sociale de rembourser des protections réutilisables et on arriverait ainsi à réduire le coût de la mesure de gratuité que nous proposons. On n’évoque pas la gratuité sans résoudre les problèmes sanitaires et écologiques, et inversement.

Bastien Lachaud Député La France insoumise de Seine-Saint-Denis.

(1) Le texte n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

(2) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.