Jazz sud-africain : Réjouissante liberté

Un instantané de la scène jazz d’Afrique du Sud à travers des enregistrements récents.

Jacques Vincent  • 3 février 2021 abonné·es
Jazz sud-africain : Réjouissante liberté
© Tseliso Monaheng

Évoquer le jazz en Afrique du sud fait ressurgir spontanément un certain nombre de figures comme la chanteuse Miriam Makeba, le trompettiste Hugh Masekela, le pianiste Chris McGregor et sa formation multiraciale Brother-hood of Breath, ou le pianiste Dollar Brand, alias Abdullah Ibrahim. Des noms qui ont marqué les années 1960 et 1970, mais en dehors de leur pays, dont ils avaient fui l’apartheid.

Les temps ont changé et ce n’est pas l’objet de cette compilation, concoctée par le label du DJ et producteur anglais Gilles Peterson, de revenir sur cette -histoire mais au contraire de s’ancrer dans le présent en présentant la scène actuelle de Johannesburg à travers huit formations invitées à enregistrer à la fin du printemps 2020 sous la houlette de la pianiste Thandi Ntuli et de Siyabonga Mthembu, à la tête de The Brother Moves On. Une génération de musiciens pour la plupart nés dans les années 1980.

Quelques mentions spéciales. Les neuf minutes de l’obsédant « What Is History » de The Wretched, dont le propos politique est incarné par un chant déchiré, une batterie martelée, une basse gavée d’électricité et cette question qui donne son titre à l’album, « what is history ? », répétée dans la douleur. Les onze minutes du « Prelude to Writing Together » des Ancestors, long balancement de houle porté tour à tour par la voix et une mélodie presque pop, la basse, la flûte, le piano électrique. Le très long et très beau « Dekeledi » de Thandi Ntuli, voix soul sur une rythmique chaloupée, ronde et feutrée, et des cuivres qui dessinent des traînées lumineuses dans le ciel. Ou ce finale parfait, « Abaphezulu », proposé par iPhupho L’ka Biko, qui semble ne jamais devoir finir tellement il est sans cesse relancé par sa propre énergie.

Huit compositions au long cours, portées par des rythmiques fleuves qui donnent une place centrale aux voix, en solo ou en collectif, chantées ou parlées, et laissent l’espace ouvert pour une multitude d’instruments. Au-delà de ces points communs, les formes sont diverses et constituent non pas un ensemble monochrome, mais une série de variations autour d’une couleur de base qui témoigne d’une créativité et d’une réjouissante liberté. Et cette compilation, comme toute entreprise de ce genre dès lors qu’elle est intelligemment menée, possède cette vertu précieuse d’attiser une curiosité qui nous était jusque-là étrangère.

Indaba Is, Various Artists, Brownswood/I See Colors.

Musique
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