Pour les étudiant·es, des mesures « à 1 euro »

Avec une unanimité qui témoigne de l’urgence de la situation, les organisations étudiantes dénoncent l’insuffisance des réponses apportées par le gouvernement à la crise.

Patrick Piro  • 3 février 2021 abonné·es
Pour les étudiant·es, des mesures « à 1 euro »
Une aide alimentaire du Secours populaire à destination des étudiants, le 12 décembre 2020 à Strasbourg.
© Frederick FLORIN/AFP

Sur le papier, les mesures font impression. Le 21 janvier, alors que les universités sont fermées depuis fin octobre afin de limiter la propagation du Covid, le président de la République lâchait du lest, autorisant un retour de l’enseignement en salle à raison d’une journée en moyenne par semaine. L’État fournira aussi aux étudiant·es, deux fois par jour, des repas au prix de 1 euro, ainsi que des « chèques psy » leur donnant accès à des consultations gratuites en santé mentale.

« Nous réclamions depuis des semaines des mesures de cette nature, c’est une victoire des mobilisations étudiantes. Pour autant, pas question de baisser la garde car ces mesures sont largement insuffisantes », tempère Mélanie Luce, présidente de l’Union nationale des étudiants de France (Unef).

Car, avec la crise, l’isolement dans les études, la précarité économique et la fragilisation psychologique, ces trois grands marqueurs classiques des difficultés de la vie universitaire visés par ces mesures, ont bondi. L’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) a analysé l’impact du premier confinement, du 17 mars au 11 mai 2020.

« Alors que 40 % des étudiant·es déclarent travailler pendant leurs études, l’effet le plus massif et le plus évident, ce sont les pertes d’emploi », souligne Olivier Rey, président du collège scientifique de l’OVE. Dans quatre cas sur cinq, il s’agit de « jobs » alimentaires, majoritairement « indispensables pour vivre », notamment pour les étranger·es. Or, ils proviennent très majoritairement d’activités touchées de plein fouet par la crise : garde d’enfants, commerce, soutien scolaire, restauration, hébergement, événementiel, etc. Pendant le premier confinement, 36 % des étudiant·es ont perdu leur travail, et pour les trois quarts été écarté·es du dispositif de chômage partiel. « Et il faut considérer en sus une diminution de l’aide apportée par les familles, la principale ressource des étudiant·es (1) », commente Olivier Rey.

La Fédération des associations générales étudiantes (Fage) mesure cette précarisation économique à la fréquentation de ses épiceries solidaires Agoraé. Une explosion. « Elles ont vu passer plus de monde entre mars et septembre 2020 que depuis leur création, il y a dix ans ! », relate Paul Mayaux, président du réseau. Sur le campus d’Aix-Marseille, le nombre de bénéficiaires a même quadruplé entre septembre et fin octobre, passant de 400 à 1 200.  « Avec beaucoup de jeunes nouvellement en situation de précarité, notamment issus de catégories socio-professionnelles moyennes-basses, qui n’ont pas accès aux aides sociales et que leurs familles ne parviennent plus à aider comme avant. »

© Politis

Les repas à 1 euro, que réclamaient de nombreuses organisations étudiantes ? Ils font office de supplice de Tantale, à ce jour. « Ça serait formidable… si les restaurants universitaires étaient ouverts ! », soupire Paul Mayaux. Une moitié d’entre eux seraient actuellement fermés en France, « et même tous à Rennes, indique Arthur Tertre, le vice-président de la Fédération étudiante rennaise inter-associative (Feria). Et quand bien même certains ouvriraient… Pour un bon nombre d’étudiant·es, les distances à parcourir pour accéder à ces repas seraient rédhibitoires. De la poudre de perlimpinpin… Le dernier conseil d’administration de l’université Rennes-I, où je siège, n’a même pas jugé utile d’évoquer la mesure. »

Le coup de pouce accordé aux boursier·es et quelques autres bénéficiaires (2) n’est pas mieux considéré par Mélanie Luce. « On ne résoudra rien avec des “primes Covid”, d’autant plus que la crise s’installe dans la durée. » L’Unef réclame 1,5 milliard d’euros, enveloppe d’avant-Covid, pour des mesures structurelles bien plus ambitieuses, telle qu’une revalorisation de 20 % des bourses et des aides au logement, rendues accessibles à 100 000 étudiant·es supplémentaires, en préambule à la création d’une allocation d’autonomie globale.

Le chèque « psy » est également décrit comme un palliatif d’urgence. Il permettra de consulter gratuitement hors centres de santé universitaires, saturés (voir p. 21). « Une de mes amies a “pété un câble”, relate Arthur Tertre, le centre universitaire lui a proposé un rendez-vous… dans six mois ! De telles situations exigent une consultation immédiate. Sinon, c’est une étudiante en moins… » Euphémisme pour désigner le risque de suicide, qui plane dans le milieu étudiant. « Et puis il faut aussi plus de gynécologues, d’addictologues, etc., c’est toute la prise en charge sanitaire qui est insuffisante », ajoute Camille Faber, présidente de la Feria. Y compris le recrutement annoncé de 140 spécialistes en santé mentale et pour l’assistance sociale, mais a priori jusqu’à fin 2021 seulement. « Le gouvernement se cache derrière l’épidémie, alors que le problème est structurel », critique Mélanie Luce, qui plaide pour l’instauration d’un « chèque santé » global.

La dernière étude de l’OVE révèle qu’un tiers des étudiant·es déclare avoir renoncé au moins une fois à des examens ou des soins au cours des douze derniers mois, pour des raisons financières mais aussi en raison du temps d’attente, attitude qui touche particulièrement les personnes en situation de détresse psychologique. Lors du premier confinement, environ 30 % des étudiant·es ont manifesté des signes de mal-être (« détresse psychologique »), contre 20 % en 2016. Cette fragilisation concerne au premier rang les femmes, les personnes étrangères et les bénéficiaires de bourses. Les états de nervosité et d’épuisement sont les manifestations les plus souvent citées. De plus, la moitié des personnes interrogées indiquent avoir souffert de solitude.

Même s’il ne s’agit que d’une photographie des premiers temps de la crise sanitaire, où dominaient des angoisses liées à la découverte de la pandémie, « il y a de bonnes raisons de croire que la situation s’est aggravée, car depuis tout le monde a compris que la crise s’est installée dans une durée dont on ne connaît pas la limite », estime Olivier Rey, qui indique que l’OVE va s’attacher, dans l’année, à préciser les contours de cette détresse psychologique encore mal quantifiée.

Parmi les mesures « Covid » qui perturbent la santé mentale, toutes les organisations soulignent l’influence délétère de la fermeture prolongée des facs, au-delà d’une dégradation de la qualité de l’enseignement. « Des cours en vidéo huit heures par jour, ça finit par taper sur le système », témoigne Arthur Tertre. Aussi, le retour des cours en salle pendant 20 % du temps est considéré par Paul Mayaux comme un bon début, « mais pourvu que l’on vise progressivement au moins 50 % ». Car l’enseignement en présentiel imposera aux gens de revenir vivre dans leur chambre étudiante pour une journée par semaine « puis de se retrouver à ruminer seuls le reste du temps, sauf à multiplier les allers-retours, relève Camille Fabre. Contreproductif à terme… » Quoi qu’il en soit, la mesure attendait encore son application fin janvier, « alors que des villes et des régions ont proposé des salles pour faciliter l’enseignement dans le respect des distances sanitaires », souligne Mélanie Luce. Par ailleurs, des militants de la Fage ont organisé dans plusieurs villes de France, avec l’appui d’enseignants, une simulation de cours en amphithéâtres pour démontrer, comme lors de partiels en salle, qu’un effort d’organisation permettrait un retour plus large des enseignements en présentiel. Revenir à une fermeture totale, en cas de nouveau confinement, est décrit comme une « ligne rouge » par les organisations étudiantes.

À ce titre, la Feria, indépendante, salue dans la mobilisation très unitaire du 26 janvier le signal fort d’un consensus sur la détresse étudiante de la part de syndicats et de fédérations aux approches souvent divergentes. Jusqu’au recours accepté de l’expression de « génération sacrifiée ». « Un sacrifice, car il procède d’un choix, celui du gouvernement, qui détient notre avenir entre ses mains », défend Mélanie Luce.

(1) 42 %, devant les activités rémunérées (25 %) et les aides publiques (23 %).

(2) Deux fois 150 euros versés en 2020, en avril ou mai, ainsi qu’en décembre.