Drive my car, de Ryûsuke Hamaguchi (Cannes, Compétition)

Dans Drive my car, le cinéaste japonais raconte avec une subtile profondeur le parcours d’un metteur en scène en deuil de sa femme. Une œuvre splendide.

Christophe Kantcheff  • 13 juillet 2021
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Drive my car, de Ryûsuke Hamaguchi (Cannes, Compétition)
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Ryûsuke Hamaguchi, né en 1978, s’impose désormais dans le cinéma japonais comme l’un de ses représentants majeurs. Avant Drive my car, le réalisateur avait déjà été sélectionné en compétition à Cannes, en 2018, avec le très subtil Asako I & II. Tandis qu’au début de cette année, son autre nouveau film, Contes du hasard et autres fantaisies, a reçu le Grand prix du jury (Ours d’argent) à la Berlinale.

La disparition ou la mort sont au cœur du cinéma d’Hamaguchi. Pas au terme de ses scénarios, mais, le plus souvent, après la première demi-heure environ. Cela se vérifie avec Drive my car. Au lieu de commencer sur son personnage principal, le metteur en scène et acteur Yusuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima), en deuil de sa femme (Reika Kirishima), il les montre ensemble, notamment quand ils font l’amour tout en confectionnant des fictions dont elle est l’initiatrice. Kafuku a aussi découvert, sans lui dire, qu’elle avait des amants. Elle meurt d’un accident cardiaque en son absence, alors que le matin même, elle lui a annoncé vouloir lui parler d’un sujet qu’on suppose sérieux. Il ne saura jamais lequel.

Générique. Place maintenant à l’essentiel de l’action du film. Kafuku part diriger un stage de mise en scène pour un festival à Hiroshima, avec des comédiens ne parlant pas tous la même langue : des Japonais, des Coréens, des Philippins et même une femme muette s’exprimant dans la langue des signes coréenne. Ils vont monter Oncle Vania. La direction du festival a imposé à Kafuku d’avoir une conductrice, Misaki (Tôko Miura) pour faire le chemin entre le lieu de répétition et la maison isolée où il séjourne. Il n’a pas accepté cette contrainte avec facilité. Habitué à tout contrôler, Kafuku est ici amené à laisser les commandes à quelqu’un d’autre. Il s’agit là davantage qu’un symbole : une chance. Mieux qu’un parcours : un cheminement.

Drive my car déploie une constellation de paroles et de silences dont le mouvement général pourrait s’apparenter à une adresse à la défunte, aimée malgré tout. Comment continuer sans elle ? Sous le flux des dialogues entre les personnages et dans les interstices silencieux s’immiscent les sinuosités de l’inconscient. Le théâtre n’est pas pour rien au cœur du film. Outre Tchekhov, on songe aussi à Nathalie Sarraute et à ses « sous-conversations ».

Si Ryûsuke Hamaguchi maximalise les puissances introspectives de la littérature – Drive my car est une adaptation personnelle d’une nouvelle de Haraki Murakami –, ses mises en scène n’ont rien de statique. De longues séquences lors d’un repas ou de conversations dans l’habitacle de la voiture font partie des moments les plus intenses. En particulier grâce au personnage de l’actrice muette, dont le langage gestuel se défait des conventions oratoires et va droit au but. Et à Wasaki, la conductrice, dont la conduite tout en douceur est en harmonie avec sa puissance d’empathie.

Drive my car est un film d’une sublime grâce qui lie l’intime de soi à la reconnaissance de l’autre. Une splendeur, tout simplement.

Drive my car, Ryûsuke Hamaguchi, 2h59. En salles le 18 août.

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Musique
Temps de lecture : 3 minutes
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