« Serre-moi fort », de Mathieu Amalric : Sans aucune frontière

Dans Serre-moi fort, Mathieu Amalric filme une femme quittant enfants et mari tout en laissant des doutes sur la nature même de sa fugue.

Christophe Kantcheff  • 8 septembre 2021 abonné·es
« Serre-moi fort », de Mathieu Amalric : Sans aucune frontière
© Roger-Arpajou

Le résumé de l’intrigue de Serre-moi fort, le nouveau film de Mathieu Amalric, fourni pour le dossier de presse est parfait : « Ça semble être l’histoire d’une jeune femme qui s’en va. » Impossible de faire plus succinct. « Ça semble » en effet être cela. On va suivre Clarisse (Vicky Krieps) dans sa fugue tandis qu’on assiste aussi à la réaction de son mari (Arieh Worthalter) et de ses deux enfants, sa fille aînée et son jeune fils, qui, eux, restent. Et…

Serre-moi fort, Mathieu Amalric, 1 h 37.
On aurait tort d’en dire davantage ! Les critiques sont souvent accusés de « divulgâcher » (comme on dit à Québec au lieu de « spoiler ») une trop grande partie de l’intrigue, voire d’en dévoiler la fin. Pour plusieurs raisons, on devrait lire leurs articles après la vision du film concerné – ne serait-ce que parce qu’à ce moment-là le spectateur et le critique sont à égalité, et l’article sort par définition du champ de la promotion. Ce n’est pourtant pas ce qui se fait le plus couramment. Comment, dès lors, parler de Serre-moi fort, dont la puissance émotionnelle, bouleversante, vient de ce que l’on devine peu à peu, et découvre finalement ?

En disant, par exemple, que Clarisse a en effet tout l’air de partir de chez elle. Sauf que, si elle quittait vraiment en pleine nuit son foyer, une maison confortable et vivante dans un environnement de montagne, cela ne se passerait pas tout à fait comme on le voit. Sa fille, notamment, qui ne dort pas et la regarde sans mot dire, ne la laisserait sans doute pas s’échapper ainsi.

Serre-moi fort serait-il un film à énigmes ? Pas vraiment. Certes, il n’est pas interdit de jouer à repérer des indices, que le cinéaste parsème çà et là, comme on le fait pour des histoires policières. On peut se demander pourquoi, par exemple, il y a cette scène où le jeune garçon se glisse dans la baignoire de la salle de bains remplie de mousse. Pourquoi aussi, alors que Clarisse arrive sur une plage en bord de mer, ses pas foulant le sable font un bruit de crissement, comme si elle marchait dans une neige épaisse.

Mais il est préférable de se laisser pénétrer, de rester disponible aux sensations, aux images, aux musiques qui peuplent la bande-son. Le cinéaste a gorgé son film de multiples flux émotionnels, fidèle à sa manière impressionniste de mettre en scène, comme en témoignent ses six longs métrages précédents, notamment Barbara (2017) ou Tournée (2010).

La réalité de ce à quoi on assiste finit par se dévoiler. Et alors quelque chose se produit avec le film qui ressemble exactement à ce qui se déroule dans l’esprit de Clarisse. Le spectateur est amené à se remémorer ce qu’il a vu, à revisiter chaque scène, à rester avec le film, à le reconsidérer. Comme s’il dialoguait à nouveau avec lui tandis que la projection est achevée, que celle-ci appartient au passé. Le plaisir est décuplé. À la différence de la vie, le miracle du cinéma tient dans le fait qu’on peut retourner dans une salle pour revoir autant de fois qu’on le souhaite Serre-moi fort. Sur l’écran, alors, les personnages s’animent de nouveau. Et c’est ainsi pour toujours.

Cinéma
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