De la peur à la haine

Peur de l’autre. Peur d’un monde qui change plus vite que jamais. Peur de l’avenir. Ce sentiment obsessionnel et irrépressible suintait, dimanche, dans toutes les phrases de l’ex-petit journaliste du Figaro. Ce que fait Zemmour, c’est convertir ce sentiment de peur en haine.

Denis Sieffert  • 8 décembre 2021
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De la peur à la haine
© EyePress News / EyePress via AFP

Un meeting ne fait pas une élection. Les quelque dix mille participants au meeting de Zemmour, dimanche à Villepinte, peuvent bien griser l’extrémiste et ses soutiens ; ils ne lui garantissent rien pour le mois d’avril. Cette évidence ne doit pourtant pas nous faire ignorer ce qui se joue derrière ce chiffre de 30 % prêts à se jeter dans les bras de l’extrême droite, si l’on en croit les sondages, et malgré tous les biais méthodologiques que l’on connaît. Jamais sans doute l’extrême droite n’a été aussi forte dans notre pays depuis Poujade et la guerre d’Algérie. Parmi eux, il y a certes une majorité de « fâchés », pour reprendre le mot de Mélenchon en 2017, mais aussi pas mal de « fachos ». Ceux-là, on les a vus à l’œuvre dans le meeting de Zemmour, tabassant parfois jusqu’au lynchage des militants antiracistes.

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Zemmour a redonné un emploi à une racaille qui avait fini par s’ennuyer chez Marine Le Pen. Le phénomène Zemmour, qu’il soit durable ou éphémère, aura d’ailleurs de toute façon cet effet pervers de banaliser le Rassemblement national, qui se refait une vertu aussi inquiétante qu’usurpée. Il faut donc bien additionner les deux pour avoir une idée de l’état de l’opinion. Sans oublier le « ciottisme », ce dévergondage de la droite dite républicaine, qui a contaminé les candidats de la primaire LR, et n’a pas fini d’empoisonner Valérie Pécresse. Même ce pauvre Montebourg est devenu un « cas contact ». Car ce qui est intéressant dans cette histoire, au moins autant que Zemmour lui-même, ce sont les « intermédiaires », comme on dit dans le commerce.

Le ressort qui conduit chez l’extrémiste porte un nom : la peur. Peur de l’autre. Peur d’un monde qui change plus vite que jamais. Peur de l’avenir. Ce sentiment obsessionnel et irrépressible suintait, dimanche, dans toutes les phrases de l’ex-petit journaliste du Figaro. Lui a trouvé l’unique cause de toutes nos peurs. Appelons-la « les Arabes ». Les mots codés sont répétés à satiété pour ne pas prononcer celui-là : « immigration », « musulman », « islamisme », « terrorisme », « délinquance »… comme symboles et boucs émissaires d’un « autre » venu d’ailleurs et fantasmé, et auquel il faut déclarer une guerre intérieure. Zemmour n’est certainement pas l’héritier de la tradition juive, mais il est clairement l’héritier du passé colonial. Revanchard de la guerre d’Algérie, avatar retardataire de l’OAS. Il regrette un monde où chacun, à l’abri de ses frontières et de ses armes, contemplait l’image qu’il se fait d’une pureté originelle. « L’origine, ça n’existe pas », disait pourtant le grand historien Marc Bloch. Il y a toujours un avant, fait de rencontres et de mélanges. Ce que fait Zemmour, c’est convertir ce sentiment de peur en haine. Et pour cela, il crée un récit. Réinventer le monde d’avant serait possible. Il recrute parmi ceux qui ne veulent pas prendre acte de la réalité. Les guerres, les inégalités Nord-Sud – si honteusement perceptibles à propos du vaccin –, les virus et le réchauffement climatique sont balayés. Tout ce qui peut fonder nos vraies peurs, et devrait conduire chez Mélenchon, Jadot ou Fabien Roussel, est jugé trop complexe, pas assez incarné. Mais le pire serait de nier que les changements sont réels. Le métissage des cultures n’est pas une idéologie, c’est un fait irréversible. Mélenchon parle de « créolisation ». Concept qu’il emprunte à Édouard Glissant. Le poète martiniquais la définissait comme « un métissage qui produit de l’imprévisible ». Ce qui peut inquiéter, mais peut aussi exalter un sentiment de liberté et permettre de refonder une société démocratique et humaine qui organise le mélange sans demander aux nouveaux venus qu’ils abjurent leur culture.

Ce qui nous ramène à ces intermédiaires dont je parlais à l’instant. La défiance à l’égard de l’autre, qui va devenir la haine chez Zemmour ou Le Pen, commence à droite, chez Macron ou au sein de la vieille gauche. C’est là que les amalgames prennent corps après un attentat islamiste. C’est là que se font les lois dites antiséparatistes, qui oublient que la séparation est d’abord sociale. C’est là que l’on détourne la laïcité pour en faire une arme antimusulmane. Dans ce monde qui a peur, et qui a quelques bonnes raisons pour cela, il faudrait sécuriser les plus fragiles et tous ceux qui redoutent le déclassement social. Le pouvoir d’achat, le système de santé, l’école, l’emploi, le logement, les transports publics – liste non exhaustive – font partie du problème. Une vie quotidienne difficile, des lendemains incertains, la peur pour soi et ses enfants peuvent conduire sur des chemins sans issue. Une minorité sans nul doute, mais redoutable quand elle est prise en main par les démagogues. Hélas, toute la politique qui se pratique dans nos pays, toutes les réformes chômage et retraite, que l’on met en place ou que l’on nous promet, fragilisent et inquiètent. Leurs auteurs sont ces intermédiaires qui ne manquent pas ensuite de s’indigner du résultat, quand celui-ci s’appelle Zemmour. Les Grandes Peurs n’ont pas manqué dans l’histoire. La plus célèbre, celle de juillet et août 1789, n’était pas exempte de fausses rumeurs et de ce qu’on appellerait aujourd’hui le complotisme. Mais elle s’est tournée contre les aristocrates. Il est vrai qu’il y avait une sacrée alternative de l’autre côté…

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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