Samuel Fosso : Cliqué décalé

La Maison européenne de la photographie met en lumière Samuel Fosso, rendu célèbre par ses autoportraits transformistes empreints d’ironie.

Jérôme Provençal  • 12 janvier 2022 abonné·es
Samuel Fosso : Cliqué décalé
© Samuel Fosso/courtesy Jean-Marc Patras/Paris

S’étant révélé aux yeux du monde lors des Rencontres africaines de la photographie à Bamako en 1994, Samuel Fosso apparaît aujourd’hui comme l’un des plus importants photographes africains en activité. Né au Cameroun en 1962, il grandit au Nigeria puis, fuyant la guerre civile du Biafra, migre en 1972 vers la Centrafrique, où il trouve refuge chez un oncle, à Bangui. C’est là qu’il s’initie à la photographie, encore tout jeune, par le biais d’un voisin.

Dès l’âge de 13 ans, il monte son propre studio, dans lequel il accomplit divers travaux de commande (portraits, photos de commémorations, mariages, autres fêtes familiales…). Toujours durant l’adolescence, il réalise ses premiers autoportraits en prenant des poses souvent inspirées de chanteurs ou de mannequins.

Riche de plus de deux cents images, couvrant l’ensemble de son cheminement, l’exposition que lui consacre la Maison européenne de la photographie, à Paris, permet de saisir au mieux l’originalité de sa démarche. Le parcours démarre avec une sélection de photographies de jeunesse en noir et blanc, rares pour la plupart, à travers lesquelles s’esquisse la formation d’un regard. On découvre ensuite les principales séries de grands autoportraits théâtralisés, emblématiques de son style, qui lui ont apporté la reconnaissance internationale.

La plus connue en France est sans doute la série Tati, conçue en 1997 pour la fameuse chaîne de magasins. Dans des décors et des costumes bariolés, Samuel Fosso, se métamorphosant d’une image à l’autre, y représente des figures archétypales telles que Le Golfeur, La Femme américaine libérée des années 70 ou encore Le Chef (celui qui a vendu l’Afrique aux colons).

Dans African Spirits (2008), autre série marquante, notre insaisissable photographe-modèle apparaît sous les traits de diverses icônes de la lutte pour l’indépendance en Afrique et du mouvement des droits civiques aux États-Unis (Malcolm X, Angela Davis, Patrice Lumumba…). Avec Emperor of Africa (2013), il souligne avec une ironie incisive l’emprise économique croissante de la Chine sur l’Afrique en incarnant – la peau blanchie – un Mao Zedong relifté à partir des portraits officiels du dictateur chinois. Dans Black Pope (2017), il met en scène un pape noir d’ébène vêtu d’une mitre blanche éclatante.

D’inspiration pop, ces séries détournent les codes et distordent les stéréotypes, notamment ceux liés aux genres et aux origines, avec une stimulante inventivité. S’ajoutent des séries plus intimistes, comme la troublante Mémoire d’un ami (2000). Samuel Fosso rejoue ici – en noir et blanc – la nuit durant laquelle il a été le témoin indirect, incapable d’agir, de la mort d’un ami.

La dernière salle présente une large sélection de photos extraites de SIXSIXSIX (2015-2016), vertigineuse série de 666 auto-portraits au Polaroid, chacun donnant à voir une émotion différente sur le visage : une méditation fascinante sur l’identité et l’authenticité (quand est-on vraiment soi-même ?), qui apparaît comme le concentré épuré à l’extrême de toute l’œuvre de son auteur.

« Samuel Fosso », jusqu’au 13 mars, Maison européenne de la photographie, Paris, mep-fr.org

Culture
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