Maintien de l’ordre : la grenade « arracheuse de mains » partiellement remplacée

Une grenade assourdissante vient s’ajouter à l’arsenal policier, jugée dangereuse pour les graves lésions auditives qu’elle pourrait engendrer.

Maxime Sirvins  • 28 mars 2022
Partager :
Maintien de l’ordre : la grenade « arracheuse de mains » partiellement remplacée

Dans un document confidentiel du ministère de l’Intérieur que Politis a consulté, la Place Beauvau annonce l’arrivée d’une nouvelle grenade dans l’arsenal de la police pour ses missions de maintien de l’ordre. Uniquement à main, elle remplace dans certaines situations la GM2L mise en cause dans plusieurs mutilations. Après les grenades lacrymogènes, de désencerclement et lacrymogènes instantanées, il y aura dorénavant une grenade assourdissante à la disposition des forces de l’ordre. Cette nouvelle arme du fabricant français Alsetex se place dans la continuité d’un besoin de combler, pour le ministère de l’Intérieur, un vide dans le catalogue des réponses possibles en manifestation.

© Politis

La GLI-F4, grenade explosive contenant 26 grammes de TNT, avait été à l’origine de plusieurs mutilations pendant le mouvement des gilets jaunes et avait choqué la France. Le 1er décembre 2018, rien qu’à Paris, les CRS en ont utilisé 339, soit 8,8 kg de TNT. Étant donné la quantité utilisée, les stocks se vident rapidement. En janvier 2019, Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, annonce l’arrêt immédiat de ces grenades pour un nouveau modèle sans explosif, la GM2L. La communication du gouvernement laisse entendre qu’il a entendu la grogne et qu’il choisit alors un modèle moins dangereux. Il omet de dire que la GLI-F4 n’est tout simplement plus fabriquée par Alsetex après un accident sur la chaîne de production ayant coûté la vie à une employée en 2014.

La nouvelle grenade, dès lors qu’elle est utilisée, provoque immédiatement des blessés puis des mutilations. Au moins deux personnes auront une main partiellement ou totalement arrachée. D’abord le 5 décembre 2020 à Paris et le 19 juin 2021 à Redon, lors d’une rave party. Le drame survenu à Redon annonce alors un changement surprenant dans l’utilisation des GM2L. Comme le prouve un document interne du 1er juillet 2021, la grenade ne sera lancée que via des lance-grenades et non plus à la main car elle est jugée trop dangereuse… pour les forces de l’ordre. Des défauts de fabrication ont été décelés. Elle peut alors continuer à être tirée à distance : 50 m, 100 m et 200 m. Mais les forces de l’ordre n’ont, d’après eux, plus de grenades à main. Il reste pourtant les lacrymogènes et les grenades de désencerclement qui envoient 18 galets de 2 centimètres de caoutchouc à 450km/h dans toutes les directions.

Graves lésions auditives

Le ministère de l’Intérieur cherche une remplaçante et des essais ont lieu pour combler ce manque. Une solution a désormais été trouvée par la Place Beauvau. À la suite de « la décision du cabinet du ministère de l’Intérieur du 7 juillet 2021 [1er juillet en fait] d’interdire le lancer à la main de la grenade GM2L […], une procédure d’achat a été engagée sous le régime de l’urgence ». La grenade choisie est là encore fabriquée par Alsetex. Une autre marque, Nobel Sécurité, qui fournit aussi des grenades lacrymogènes, était également en lice « avec un meilleur modèle » d’après une source interne, mais le talent de leurs commerciaux n’aurait pas fait le poids face au grand groupe Étienne Lacroix qui détient Alsetex.

© Politis

Pendant que la GM2L continue d’exploser à distance des forces de l’ordre, la nouvelle grenade «ASSD», pour assourdissante, sera bien utilisée à la main. Peu d’informations sont disponibles sur cette fameuse grenade mais Alsetex produisait déjà une arme de ce type ces dernières années sous un autre nom. Les grenades assourdissantes fabriquées par Alsetex produisent un son d’environ 159 décibels à 10 mètres. Au-dessus de 140 décibels, de graves lésions auditives peuvent se produire de manière irréversible. Autour de 160 dB, les tympans peuvent éclater. Marquée d’un S, pour sound, elle ne possède pas d’effet lacrymal mais uniquement sonore, contrairement à la GM2L. Autre différence de taille avec la GM2L, la nouvelle grenade explose bien plus vite, 1,5 seconde, et ne permet pas d’être ramassée à la main.

En utilisation réglementaire, la grenade est censée être jetée au sol et non en l’air, mais ces dernières années de nombreux policiers ont transgressé cette règle pourtant obligatoire avec certains modèles.

Outil controversé

Une détonation au niveau de la tête risque de blesser gravement. Comme toutes les grenades de la marque, les modèles assourdissants sont censés être vendus comme « sans éclats ». Pourtant, des observations de terrain ont mis en évidence que la GLI-F4 et la GM2L ont projeté de nombreux fragments de fer dans les jambes de manifestants ou de jounalistes blessés. Cette nouvelle grenade est loin de susciter l’unanimité chez les forces de l’ordre. Particulièrement chez ceux qui l’ont testée. Lors de sa détonation, elle projette son bouchon allumeur, pièce en plastique et en métal, à très grande vitesse de manière incontrôlée.

Une vidéo de présentation de l’entreprise Alsetex montre bien, lors de l’utilisation d’une grenade assourdissante, la projection d’une pièce à grande vitesse à hauteur de tête. Une pièce qui pourrait blesser, voire mutiler.

EDIT du 29 mars

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« Les quartiers populaires ne sont pas des déserts politiques »
Sociologie 19 avril 2024 abonné·es

« Les quartiers populaires ne sont pas des déserts politiques »

Ulysse Rabaté, chercheur en science politique de l’Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis, retrace dans son ouvrage Streetologie la culture de vie des quartiers populaires comme moteur à pratiques politiques.
Par Léa Lebastard
­À la Maison des métallos, des mineurs isolés se mobilisent pour leurs droits
Luttes 18 avril 2024 abonné·es

­À la Maison des métallos, des mineurs isolés se mobilisent pour leurs droits

Depuis le 6 avril, des mineurs isolés du collectif des jeunes du parc de Belleville ont décidé d’occuper ce lieu parisien symbolique des luttes sociales, pour dénoncer leur situation, davantage fragilisée par l’arrivée des Jeux olympiques.
Par Léa Lebastard
Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus
Justice 18 avril 2024 abonné·es

Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus

Les 2 et 3 avril derniers, à Paris, Jean-Noël « Txetx » Etcheverry et Béatrice Molle-Haran répondaient de leur participation à l’opération de désarmement de l’organisation de lutte armée ETA en 2016, à Louhossoa, au Pays basque. Avec cette question : un acte illégal, mais qui s’est avéré légitime, mérite-t-il d’être puni ?
Par Patrick Piro
S’adapter à la répression pour ne pas relâcher la pression
Analyse 17 avril 2024 abonné·es

S’adapter à la répression pour ne pas relâcher la pression

Ces dernières années, les luttes écologistes subissent une brutalité croissante des forces de l’ordre. Face à la disproportion des moyens employés par l’État, les militants cherchent à adapter leurs modes d’action.
Par Maxime Sirvins