5 raisons de voter (pour Macron) contre Le Pen

Entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, beaucoup affirment qu’ils ne choisiront « ni la peste ni le choléra ». Le dilemme du pire se prépare. Mais au bout de la réflexion, ce choix semble surtout être conditionné par la nature réelle de l’extrême droite.

Lucas Sarafian  • 13 avril 2022 abonné·es
5 raisons de voter (pour Macron) contre Le Pen
© Idriss Bigou-Gilles / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Emmanuel Macron face à Marine Le Pen. Que faire dans les urnes le 24 avril prochain ? Voilà la question présente dans toutes les têtes des électeurs de gauche, grands déçus de ce premier tour, comme pour tous ceux pour qui Emmanuel Macron constitue un repoussoir. Désormais, il s’agit de choisir : s’abstenir, voter blanc, faire barrage ou, pour certains, mettre un bulletin Marine Le Pen dans l’urne. Les consignes de vote abondent et les débats sont déjà vifs. Face à l’extrême droite, les arguments en faveur d’un vote (Macron) contre Le Pen existent pourtant bien.

1. Parce que voter Macron, c’est avant tout voter pour les autres.

Ceux qui seront pleinement concernés par les mesures discriminatoires et racistes prévues dans le programme de Marine Le Pen, si elle arrive à être élue. Car si l’extrême droite a réussi à adoucir son image au point d’être banalisée du fait d’une stratégie politique qui se compte en années, d’une complicité médiacratique et d’un candidat, Éric Zemmour, qui semblait encore plus extrême qu’elle durant cette campagne, son projet est le même que celui de la période Front national : la « préférence nationale ». Une idée venue de l’esprit de Jean-Yves Le Gallou, ancien cadre du parti, au milieu des années 1980 et toujours présente aujourd’hui sous un autre nom, la « priorité nationale ». « Je suis une adepte résolue de la priorité nationale et je vais la permettre par l’intermédiaire du référendum sur l’immigration que je vous proposerai », affirmait Marine Le Pen, le 12 septembre 2021 à Fréjus, dans le Var. Les mots peuvent changer mais le concept est le même, colonne vertébrale de tout son projet : restreindre l’accès à l’emploi ou aux demandes de logement social, conditionner l’accès aux prestations de solidarité « à cinq années de travail en France », réserver les aides sociales aux Français, mettre fin à l’accueil des mineurs non accompagnés, supprimer l’aide médicale d’État (AME), supprimer le droit du sol, limiterl’accès à la nationalité « à la seule naturalisation sur des critères de mérite et d’assimilation », supprimer l’autorisation de séjour « pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France », etc.En résumé, une légalisation de la discrimination envers les étrangers. Juste avant le premier tour, l’écrivain Édouard Louis pointait les postures de certains électeurs vis-à-vis du vote : « On vote pour se faire plaisir à soi, se constituer esthétiquement auprès des autres, et pouvoir s’endormir le soir en se sentant fier – et tant pis si ce petit plaisir esthétique qu’on se donne contribuera à la persécution des classes populaires ou des réfugiés. » Cette réflexion pourrait bel et bien se poser pour beaucoup le 24 avril au matin.

2. Parce que Le Pen représente un danger pour l’État de droit.

Pourtant, elle l’affirme haut et fort : « Moi, je respecte l’État de droit », sur BFMTV le 22 mars, lorsqu’il s’agit de s’opposer au concept de « remigration », émis par Éric Zemmour, qui se proposait d’y dédier un ministère. Mais son programme présente pourtant de grosses entorses à ce qu’elle prétend défendre. En instaurant un droit différencié par l’application d’une « priorité nationale », vieille antienne, elle ne respecterait pas le principe d’égalité devant la loi. Contraire aux fondements de la Constitution de 1958, au préambule de 1946 mais aussi à la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Mais elle n’en a que faire : pour elle, il faut organiser un référendum dès qu’elle est élue. Héritage bonapartiste inhérent à sa famille politique. Elle se confronterait alors à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que la France, en tant qu’État membre, doit respecter. Autre outil : la mise en place d’un « bouclier constitutionnel » permettant de ne plus soumettre la France au droit européen et international. « On sort du droit », pointe Nonna Mayer, chercheuse rattachée à Sciences Po et directrice de recherche émérite du CNRS, dans Mediapart le 10 avril, tout en rappelant que la première chose que ferait Marine Le Pen serait « d’abolir la loi Pleven [qui condamne la “haine et la provocation raciale”] et la loi Gayssot [qui vise à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe]_, c’est-à-dire tout ce qui nous protège du racisme »_.

3. Voter Macron, c’est d’abord voter contre Le Pen.

Jamais l’extrême droite n’a été si proche de la fonction suprême. Marine Le Pen (23,15 %), Éric Zemmour (7,07 %)… À eux deux, le score total de ce camp dépasse le seuil symbolique des 30 % des suffrages exprimés au premier tour. Et plus encore si l’on ajoute le résultat de Nicolas Dupont-Aignan (2,06 %). Par rapport à 2017, la candidate du Rassemblement national a augmenté son score de près de 2 %, récoltant 500 000 voix de plus. Le risque est donc immense. Le 24 avril, il s’agira donc aussi d’un vote stratégique. Le but ? Tenir le RN le plus bas possible et éviter à tout prix que Marine Le Pen puisse revendiquer d’être soutenue par des millions de personnes. Derrière, la perspective que l’extrême droite impose un rapport de force et avance encore un peu plus ses pions dans la bataille culturelle en cours. Sur l’estrade, au soir du premier tour, Marine Le Pen a proposé cette alternative biaisée lors de son allocution : « Soit la division, l’injustice et le désordre imposés par Emmanuel Macron au profit de quelques-uns, soit le rassemblement des Français autour de la justice sociale et de la protection. » Signe que l’extrême droite s’approprie déjà le vote populaire et revendique le soutien réel de millions de Français. Le terreau est déjà fertile, le vote sera capital.

4. Parce que Le Pen est la candidate des riches.

Si elle met sur la table un projet fondé sur de la discrimination et qu’elle ne cesse de se présenter comme « la candidate du peuple », il n’en reste pas moins vrai que ses propositions sont autant de cadeaux offerts aux plus aisés. Exonération d’impôt sur les donations des grands-parents aux petits-enfants et des parents aux enfants jusqu’à 100 000 euros par enfant tous les dix ans (contre quinze aujourd’hui), suppression d’impôts sur tous les biens immobiliers à hauteur de 300 000 euros pour les droits de succession, suppression de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans et, surtout, l’exonération de cotisations patronales pour les entreprises qui augmentent les salaires de 10 %, pour ceux allant jusqu’à 3 fois le Smic. « Des mesures présentées comme destinées aux ménages modestes, mais, par rapport au système actuel, elles vont uniquement améliorer la situation des ménages aisés », juge l’économiste Anne Eydoux, maîtresse de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), également membre des Économistes atterrés, ce collectif de chercheurs « hétérodoxes ». Rajoutez à cela la doctrine du remboursement de la dette qui ajoute du poids sur les classes moyennes et populaires, et vous obtiendrez un programme qui s’inscrit dans la lignée de tous les candidats libéraux en plus d’un projet d’extrême droite sur le plan social.

5. Parce qu’avec Le Pen au pouvoir, la liberté de la presse est gravement menacée.

En apparence, les médias ne sont plus un ennemi de la candidate d’extrême droite. Les saillies à l’égard de la presse sont presque absentes, les relations apaisées, si l’on en croit l’équipe de campagne. Mais il y a ce qui est écrit. Et ce qui ne l’est pas. Dans son programme, Marine Le Pen prévoit de privatiser l’audiovisuel public et de supprimer la redevance audiovisuelle. Une claire attaque contre le service public. L’association Un bout des médias, présidée par l’économiste Julia Cagé, juge que son programme « n’évoque presque pas la question des médias » mais « risque d’aggraver la concentration dans ce secteur ». Car ses positions sont plus qu’insidieuses. Devant la presse parlementaire, le 7 avril 2021, elle explique que les responsables politiques peuvent avoir des « exigences » à l’égard des médias comme la « loyauté ». En conférence de presse en juin, à la suite des révélations de Libération concernant l’existence d’un système de financement de campagne du parti pour les régionales qui s’appuie sur un « chantage » aux candidats et conseillers sortants, Marine Le Pen parle d’une « invention, d’une énième malveillance de votre confrère, d’un mensonge total qui va faire l’objet d’une énième procédure en diffamation contre ce quotidien. Il y a des gens comme ça, c’est vrai en politique, c’est vrai aussi dans les médias, qui salissent absolument tout ce qu’ils touchent. Eh bien, le journal Libération fait partie de cette espèce ». Les pressions n’ont jamais cessé et la sélection des médias accrédités à des événements est toujours d’actualité. Politis a tenté de s’accréditer pour assister à la soirée du premier tour au QG du RN. En vain. Lors d’un déjeuner de presse, dix jours avant, une journaliste du Monde a été « violemment prise à partie par le conseiller spécial de Marine Le Pen, Philippe Olivier », rapporte Libération. Il y a cinq ans, en meeting, la candidate appelait la foule à se détourner des médias, les faisait huer. Dans le fond, aujourd’hui, rien n’a changé.

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