Nouvelle espérance

Alors, Mélenchon Premier ministre ? C’est improbable. Mais possible. Toutefois, ce qui importe, c’est la construction d’une gauche écologique et sociale plurielle qui s’installe dans la durée comme la principale force d’alternance.

Denis Sieffert  • 4 mai 2022
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Nouvelle espérance
© Alain JOCARD / AFP

À la fin du congrès de Tours, en décembre 1920, Léon Blum lança aux futurs communistes qui s’apprêtaient à rompre avec la social-démocratie une sorte de prophétie : « Pendant que vous irez courir l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison. » Il fut un gardien honorable de la SFIO (l’ancêtre du PS), dont il fit la première force politique du Front populaire. Non sans que les grandes grèves du printemps 1936 l’y aient poussé un peu… Mais aujourd’hui ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les murs de la vieille maison sont vermoulus, et ses gardiens autoproclamés ressemblent à des croque-mitaines de la politique. Ce sont les amis de François Hollande. Ceux qui ont eu tous les pouvoirs en 2012 et les ont perdus tous en moins de cinq ans. Autant dire que leur légitimité à dispenser des conseils en socialisme est faible. Et celui qui « court l’aventure », c’est le premier secrétaire, Olivier Faure. C’est lui qui fait le pari de la coalition des gauches : la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, pour lui donner son appellation désormais officielle.

Si je m’attarde sur le sort du Parti socialiste, qui n’apparaît pas – c’est un euphémisme – comme la force motrice de l’union qui se dessine, c’est qu’il symbolise l’ampleur du changement d’époque. Là se joue un combat existentiel entre le mort et le vif. Le score d’Anne Hidalgo à la présidentielle représentant dans cette histoire le solde du passé. Mais un score trompeur car le PS est aussi, à gauche, le dépositaire de la plus forte implantation locale. D’où l’âpreté de la négociation, au-delà même des désaccords programmatiques.

Depuis la disparition de la SFIO en 1969, il n’y a pas eu de rupture aussi violente. On ne voit pas comment la fracture pourrait ne pas aller jusqu’à un divorce définitif, générationnel autant que politique. Les « vieux » – appelons-les comme ça, au sens du vieux monde – s’arc-boutent sur la question européenne. C’était l’un des points faibles en effet du discours mélenchonien. Mais, pour des raisons exactement opposées, c’est aussi le leur. Entre La France insoumise et Europe Écologie-Les Verts, il semble que la négociation ait permis de clarifier le sujet. Plus question de « frexit » (la sortie de l’Europe). La désobéissance aux traités a perdu son côté piégeux et dogmatique. Ce n’est plus une doctrine chamboule-tout, mais une liberté sociale à invoquer au coup par coup. On voit bien cependant que les insoumis et les écologistes ont des interprétations différentes de la « désobéissance ». L’une plus radicale que l’autre. Il faudra que l’esprit de compromis résiste à l’usage.

L’autre grande question névralgique, c’est l’Ukraine. Les « vieux » du PS tapent là où ça fait mal. Il est vrai que Mélenchon a changé de discours sur le sujet. Faut-il ou non continuer d’armer les Ukrainiens ? D’un « non » pseudo-pacifiste, il évolue vers un « oui » timide. Le tournant est douloureux. Et, derrière cela, apparaît une autre question à double fond : la sortie de l’Otan et la défense européenne. Difficile aujourd’hui de vouloir l’une sans l’autre. Là aussi, des révisions sont attendues. Mais Mélenchon, c’est « n’avoue jamais », comme disait la chanson. Il change de position avec toujours le même aplomb : « Je l’ai toujours dit. » La plasticité idéologique du personnage n’a d’ailleurs pas que des inconvénients. Il y a quelques mois, il ne voulait plus que l’on prononce le mot « gauche » devant lui. Et le voilà aujourd’hui fédérateur de toutes les gauches. Il avait raté le coche en 2017, il a su apprendre de ses erreurs. Même si, bien sûr, il n’y a jamais eu d’erreur…

Et voilà peut-être l’explication principale des événements porteurs d’espoir que nous vivons : le changement de ton de Jean-Luc Mélenchon. Une volonté politique nouvelle. Il faudra qu’elle persiste bien au-delà d’un accord électoral. Mais, comme disait Engels, « la preuve du pudding, c’est qu’on le mange ». Il faut donc se lancer. La nouvelle gauche va bien sûr retrouver les « vieux » du PS en travers de son chemin. Ils sont au bord de la scission. Ce qui importerait peu s’ils n’étaient assis sur des titres de propriété locaux très en décalage avec le nouveau paysage politique. Ils ne manqueront pas de nous rappeler que le rapport de force ne se mesure pas à la seule aune de la présidentielle.

Alors, Mélenchon Premier ministre ? C’est improbable. Mais possible. Toutefois, ce qui importe, c’est la construction d’une gauche écologique et sociale plurielle qui s’installe dans la durée comme la principale force d’alternance. LFI et EELV ont compris qu’ils pouvaient s’accorder sans peine sur le social et l’écologique. Le PC les a rejoints. Quel autre choix ? La question des retraites est un combat rassembleur urgent et symbolique. Tout le monde a compris que la retraite à 65 ans ne répond à aucun autre objectif que de « rassurer » les marchés financiers. L’autre grand sujet, c’est évidemment le pouvoir d’achat. Combien de nos concitoyens, devenus travailleurs pauvres, ne peuvent plus vivre décemment de leur salaire ? Et la guerre en Ukraine va rendre leur situation proprement invivable. Que vive donc l’union qui se construit !

Je manquerais à mon devoir d’ancienneté si je ne rappelais pas que Politis est né voici trente-quatre ans de cet engagement au croisement de l’écologie et du social. « Rose, rouge, vert », disions-nous avec Bernard Langlois. C’est dans la fidélité à l’histoire de ce journal que nous faisons le pari de l’espoir. Sans naïveté aucune.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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