Festival Latitudes contemporaines : L’art au cœur du réel

Axée autour du concept de développement durable, la vingtième édition de Latitudes contemporaines témoigne d’un engagement en profondeur, à la fois artistique, social et politique.

Jérôme Provençal  • 8 juin 2022 abonné·es
Festival Latitudes contemporaines : L’art au cœur du réel
u00ab C(h)u0153urs 2022 u00bb, d’Alain Platel.
© Filip Van Roe

Se déroulant pendant trois semaines au mois de juin en région Hauts-de-France, dans toute la Métropole européenne de Lille et au-delà, y compris parfois en terre belge, le festival Latitudes contemporaines est apparu en 2003. À l’origine dédié à la danse, il s’est assez vite étendu à d’autres domaines, à commencer par le théâtre, et arbore désormais une identité foncièrement pluridisciplinaire.

Mêlant ainsi spectacle vivant, arts visuels et musiques actuelles, il cultive une prédilection nette pour les formes – souvent hybrides – les plus originales ou audacieuses. À la volonté de défrichage artistique s’ajoute un désir d’ancrage sociopolitique. En prise directe avec le temps présent, ces deux aspects procèdent d’une même exigence et apparaissent inséparablement liés dans l’ADN de Latitudes contemporaines, événement qui tend à stimuler les sens autant qu’à remuer les méninges.

« D’année en année, j’ai vraiment tenu à affirmer ce positionnement politique et à concevoir une programmation au plus près du réel, précise Maria-Carmela Mini, fondatrice et directrice du festival. Le monde d’aujourd’hui nous offre pléthore de sujets possibles… Je choisis une problématique particulière pour chaque édition en tâchant de construire un récit autour. J’utilise toute la matière artistique qui me semble pertinente sans privilégier aucune discipline. Le récit m’importe plus que le médium. »

Après une édition 2021 consacrée à la représentation du féminin sur scène et dans la société, le récit de l’édition 2022 s’articule autour du développement durable. Abordée de façon extensive, dans une approche intersectionnelle, cette notion recouvre ici non seulement l’écologie mais également les droits culturels, la parité ou encore l’inclusion des minorités.

Au total, plus de trente propositions artistiques composent le programme. Apportant un écho décalé aux questions relatives à l’environnement par ses projets, toujours conçus comme des écosystèmes, le metteur en scène Philippe Quesne présente ici Farm Fatale. Une rêverie drolatique, teintée de douce dinguerie, sur l’avenir de l’humanité dont les improbables « héros » sont des épouvantails amis de la culture et de la nature.

Dans un registre voisin, François Gremaud (fondateur de la 2b company, compagnie suisse hautement singulière) donne à voir et entendre Auréliens. Au cœur de la pièce, à la scénographie ultraminimaliste, se trouve une conférence de l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau sur l’urgence d’agir pour sauver les civilisations humaines. S’appropriant tout en légèreté lunaire la parole de son demi-homonyme, qui oscille entre constat scientifique et digression poétique, l’acteur suisse Aurélien Patouillard confère une très jolie – et très juste – résonance à cette ardente ode au vivant.

Aventureuse exploratrice de l’espace de représentation, la chorégraphe et metteuse en scène croate Ivana Müller apparaît trois fois au programme de cette édition. Signalons en particulier l’installation participative Hors-Champ. Elle prend pour cadre un campement d’une dizaine de tentes, chacune abritant le texte d’une conversation. Deux personnes – qui, de préférence, ne se connaissent pas – sont invitées à entrer dans chaque tente, à lire le texte qui s’y trouve, à partager ensemble ce morceau de temps et de fiction, sans aucune présence tierce. Une belle manière d’amener à expérimenter le rapport à l’autre et à l’inattendu.

Originaire du Burundi, la jeune artiste Consolate propose ICIRORI, une installation-performance immersive dans laquelle elle évoque un épisode traumatique de son enfance (une longue errance, à 4 ans et demi, dans une forêt où elle a vu mourir sa famille). Entre recherche documentaire et restitution sensorielle, elle donne forme à un espace de partage et de réflexion à l’intérieur duquel son histoire personnelle prend une dimension universelle.

Artiste afghane réfugiée en France depuis 2015, Kubra Khademi dévoile, quant à elle, Les Héroïnes d’aujourd’hui, installation-parcours à grande portée symbolique : dix plaques de rue aux noms de résistantes et féministes afghanes, pour certaines disparues, vont être apposées pendant un an – à partir du 10 juin – dans les rues de Roubaix, autour de la Condition publique (l’une des salles partenaires du festival). « C’est une manière de rendre hommage à ces femmes luttant pour leur liberté et de les soutenir », déclare Maria-Carmela Mini, qui s’est démenée sans compter pour aider des artistes (hommes et femmes) à quitter l’Afghanistan depuis le retour au pouvoir des talibans. Plus de 150 ont déjà pu être accueillis en France.

Également à l’affiche du prochain Festival d’Avignon (avec une performance et une exposition), Kubra Khademi est accompagnée par Latitudes contemporaines depuis son arrivée en France. Elle fait partie des dix artistes dont les projets sont actuellement développés avec l’appui de Latitudes Prod., le bureau de production du festival. L’un des autres artistes est le chorégraphe et danseur iranien Ali Moini, également en exil.

Menant diverses actions à l’échelle internationale, Latitudes contemporaines compte parmi les six structures européennes qui ont impulsé le projet Infra – Inclusive Network For Refugee Artists. Soutenu par la Commission européenne, ce programme vise à faciliter l’intégration professionnelle des artistes en exil dans leur pays d’accueil (via des ateliers, résidences, rencontres, etc.). Il a été mis en place de l’automne 2019 au printemps 2021, dans un contexte sérieusement compliqué par la pandémie… Un dossier demandant la prolongation du dispositif pour une période supplémentaire de quatre ans est en cours d’examen.

Jusqu’au 28 juin, latitudescontemporaines.com

Musique
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