Une taxe écolo en solde à la douane

Thierry Brun  • 15 juillet 2009
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La boîte de Pandore de la fiscalité écologique s’ouvre enfin. Mais ce n’est pas dans les conclusions du comité d’experts sur la taxe carbone présidé par Michel Rocard, présentées à huis clos au Sénat le 9 juillet, que l’on trouvera les récentes actions du gouvernement en la matière.

Alors que le débat s’achève sur cette fiscalité verte, une note de la direction générale des douanes a éventé une décision annonçant le sabordage de l’une des taxes écolos, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) créée en 1998, qui a rapporté 457 millions d’euros en 2007. Certes, ce n’est pas la taxe la plus importante : il existe « 44 mesures de fiscalité environnementale et de fiscalité énergétique » , selon le ministère de l’Ecologie. Et la palme du rendement revient à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (5,1 milliards d’euros en 2007), selon le Conseil d’Etat qui a réalisé un intéressant travail documentaire en marge des « entretiens du Conseil d’Etat » du 17 juin 2009 (voir notre document).

Mais l’origine de la décision de proposer un rabais de 66 % sur la TGAP est particulièrement révélatrice du lobbying exercé par des organismes représentant les entreprises. L’explication nous a été fournie par un syndicat, Solidaires Douanes, dans les rangs duquel des gens très bien informés ont levé le fameux lièvre de la TGAP.

En résumé, la TGAP est constituée en deux étapes : la contribution volontaire, confiée depuis 2007 à un organisme privé du nom d’EcoFolio ; en cas d’absence de paiement de cette contribution, la TGAP joue aussi un rôle de sanction. C’est cette deuxième étape qui est en cause, le première étant fort peu dissuasive envers les activités pollutantes des entreprises.

Ce dispositif censé permettre aux collectivités territoriales de traiter les tonnes de déchets générés par les distributeurs d’imprimés a été confié… « aux plus gros pollueurs du secteur, ceux qui vous inondent, dans la rue, dans les boîtes aux lettres, de publicités et de gratuits » , note Solidaires Douanes. En apparence EcoFolio est un organisme investi par l’Etat d’une mission d’intérêt général : la participation à la préservation de l’environnement en faisant progresser le tri et le recyclage de nos papiers.

EcoFolio « est en réalité moins vertueuse » , relève les douaniers. D’après son site Internet, l’actionnariat d’EcoFolio se compose de 34 sociétés partagées entre les éditeurs de presse gratuite d’annonces (Spir ou Paru Vendu), des annuaires (Pages Jeunes), des distributeurs (Aldi, Conforama, Auchan ou Ikea, entres autres), de grandes entreprises (et de gros annonceurs publicitaires) comme BNP Paribas, PSA, SFR, Nestlé, etc.

Voici le meilleur fourni par les syndicalistes : « EcoFolio, à qui le législateur n’impose qu’un taux plafond de 150 euros par tonne de papier imprimé, ne se fait pas violence en s’imposant un taux attractif de 35 euros la tonne » , « et c’est peu dire que les contrôles sur la sincérité des quantités déclarées par ces gros annonceurs ne pleuvent pas… » . Au point que le montant de la TGAP collectée est en baisse constante depuis 2002. Et que ce système est méconnu d’une partie des acteurs du secteur, qu’EcoFolio a sans doute oublié d’informer, en particulier des entreprises de taille modeste.

Ainsi, des contrôles menés par les douanes ont abouti à des redressements qui, selon la loi, s’effectuent sur la base d’un taux de 910 euros la tonne (depuis le 1er juillet 2008), soit 26 fois plus que les « bienheureux contributeurs d’EcoFolio » , ironisent les douaniers. Mais une note du 29 juin 2009 du directeur général des douanes, en accord avec le ministre du budget et le ministre de l’Ecologie, indique la note, « a réduit unilatéralement et “à titre exceptionnel” le taux légal de la taxe à 300 euros la tonne. Qui plus est, cette réduction est rétroactive sur 3 ans, c’est-à-dire depuis l’entrée en vigueur de la dernière version de la taxe ! » . On pourrait penser qu’il s’agit d’une mesure de bon sens pour les entreprises non averties, mais le système crée une inégalité de traitement énorme au détriment de nombre d’opérateurs, de fait les plus modestes. Car le dispositif “n’en reste pas moins près de 9 fois supérieur au montant de la contribution à EcoFolio” .

Solidaires Douanes révèle aussi que « la direction générale somme les services d’enquête douaniers de rédiger des PV conformes aux prescriptions légales, mais de ne pas s’y conformer par la suite. Concrètement, les agents des douanes sont sensés notifier un redressement de 900 euros mais n’en faire payer que 300. Véritable tricherie organisée et abus de pouvoir législatif, cette novation de la part d’une administration régalienne s’affranchissant ainsi de la loi est inquiétante » .

Comme on l’a dit, cette note vient d’une décision du ministre du Budget, Eric Woerth, et du ministre de l’Ecologie, Jean-Louis Borloo. Selon EcoFolio, dit encore la note, « le nombre et le montant des régularisations demeurent dérisoires (une centaine de dossiers pour environ 200 000 euros à ce jour) » . On ne fait pas temps de cadeau pour les chômeurs, présumés fraudeurs et les malades en arrêt de travail (toujours des fraudeurs). Et on attend avec impatience le coût réel pour l’Etat et les contribuables de cette TGAP fort bien contrôlée, par les industriels…

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