Retour en Palestine (5) : femmes journalistes palestiniennes…

Denis Sieffert  • 20 décembre 2011
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Dernier jour plein à Ramallah. Au programme, une conférence de femmes journalistes sur le thème «la journaliste palestinienne et les enjeux de la scène médiatique» . Vaste salle, très moderne. On ne surprendra personne en notant qu’il y a là une majorité de femmes. Mais quelques hommes tout de même. Une vidéoconférence est prévue en fin de journée avec Gaza. Hélas, je n’y serai plus. Le débat est lancé par trois brefs exposés clairs et dynamiques. J’ai le souvenir, il y a quinze ou vingt ans, d’interminables discours dans la grande tradition de la rhétorique politique arabe, et il faut bien le dire, dans la tradition de la langue de bois. Rien de tout cela ici. Les débats sont menés tambour battant. Nous sommes entre gens de «communication» soucieux de ne pas lasser l’auditoire. Les témoignages fusent.

Handicap

Une première intervenante souligne «les difficultés sociales, le handicap de la maternité pour faire une carrière, les inégalités de salaires à travail égal entre hommes et femmes.» Bref, rien de très original quand on vient…de France. Si ce n’est que les écarts sont plus importants côté palestinien. Mais le principe, si j’ose dire, est le même. Une autre femme évoque les difficultés du foyer. Après le travail, la maison, les enfants. La double exploitation… Une femme regrette que les journalistes palestiniennes aient du mal à obtenir des formations. «Il faut être le soir à la maison» . Pour la même raison, les déplacements professionnels sont pratiquement impossibles. Un autre handicap.

Et encore, cette remarque : « Le journalisme est un métier qui a la réputation de donner de l’indépendance à ceux qui le pratiquent.» C’est cette indépendance qu’on ne veut pas accorder aux femmes. D’où cette première conclusion : il n’y a pratiquement pas de femmes dans les grands quotidiens palestiniens : une seule occupe des fonctions importantes dans Al Ayyam, l’organe officieux de l’Autorité palestinienne. «L’idée est encore trop répandue que la politique, c’est pour les hommes» , regrette une intervenante. «Les patrons de journaux pensent qu’une femme ne sera pas crédible aux yeux du lecteur.»

Ramallah : des palestiniens célèbrent le retour de prisonniers libérés en échange de Gilad Shalit. - Yefimovich / AFP

Bref aparté avec ma voisine. Elle s’appelle Nahed Abu Tauima, et enseigne le journalisme à l’université de Bir Zeit. Et la moitié des jeunes filles qui sont dans la salle semblent l’avoir eue comme professeur, si l’on en juge par le nombre de celles qui viennent la saluer chaleureusement. Avec elle, nous parlons du voile. Dans la salle, c’est moitié-moitié. «C’est un handicap de plus, reconnaît-elle — elle qui n’en porte pas — car face à certains interlocuteurs, il faut porter le voile, et face à d’autres, il n’en faut pas.» Une oratrice met en garde contre une fausse ouverture de la profession qui consisterait à employer des femmes pour traiter des problèmes de femmes : « Des femmes spécialistes des femmes » . Le tableau n’est donc guère encourageant. Sauf qu’un tel débat, une telle conférence ce n’est déjà pas rien. Et je m’interroge sur ces femmes journalistes qui sont présentes alors que les journaux ne les emploient pas. La réponse fuse comme une note d’espoir : « Elles travaillent dans les radios. Les radios ont besoin de voix de femmes…»

« Pas un débat sans un représentant du Hamas »

Le soir, j’irai voir la toute nouvelle radio du Fatah. Reçu par son directeur qui me fait visiter l’unique mais moderne studio. Cette jeune radio a deux mois. Pourquoi maintenant ? Peut-être par crainte pour le Fatah d’une défaite aux élections de mai, qui lui ferait perdre le contrôle de la radio de l’Autorité palestinienne ? Simple conjecture, sans confirmation. Je pose la question du pluralisme : « Pas un débat sans un représentant du Hamas » , répond le directeur. On veut bien le croire.

Un peu plus tard, passage par le Ramallah, un modeste café du centre ville, tout près de la place Al-Manara. Les intellectuels, éditorialistes, écrivains, et autres syndicalistes ont l’habitude de s’y retrouver pour critiquer la politique de l’Autorité en fumant la chicha. Un air de liberté. Je me fais tout de même expliquer que la liberté de la presse a ses limites, mais pas toujours celles que l’on croit. « Il est quelque fois plus facile de critiquer Mahmoud Abbas que tel gros industriel » , me fait-on observer. La foudre peut parfois s’abattre sur votre tête, et même vous entraîner quelques jours en prison, sans qu’on sache vraiment pour quoi. Les limites sont de moins en moins politiques et de plus en plus économiques, me dit-on encore. La chicha est excellente.

Demain, retour par Qalandiya…

Temps de lecture : 4 minutes
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