Quarante ans de conférences sur l’environnement: et nous et nous ?

Quarante ans après la première conférence sur l’environnement organisée par l’ONU, il n’est pas certain que les politiques aient fait beaucoup de progrès pour protéger la planète.

Claude-Marie Vadrot  • 14 juin 2012
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Commencé depuis le 15 juin, le Sommet des Peuples va tenter d’infléchir le cours des négociations pour l’instant plus que décevantes des délégués officiels qui se réuniront à partir du 20 juin. Une suite peu encourageante des trois conférences mondiales sur l’environnement déjà organisées depuis 1972. Si il existe une différence essentielle entre la conférence de Stockholm et celle de Rio de Janeiro de cette année, elle réside d’abord dans la nature des rapports entre les participants officiels et la société civile. En 1972, la distance entre le centre de conférence des chefs d’Etat et les forums et rencontres des associations n’était que de quelques centaines de mètres à parcourir à pied, et nulle mesure sécuritaire ne séparait les uns des autres. En 2012, il faut prés d’une heure d’autobus pour aller de l’une à l’autre puis monter patte blanche. Evolution qui en dit long sur l’altération de la qualité des échanges entre les politiques et ceux qui contestent leur inaction. D’autant plus, autre caractéristique fondamentale de ce qui s’est passé à Stockholm, que les uns pouvaient aller s’exprimer chez les autres et réciproquement. Un ministre, voire un chef d’Etat ou de gouvernement, n’hésitant pas à venir affronter les contestataires et discuter pied à pied avec eux. Ce qui, par exemple donna un splendide dialogue entre Indira Gandhi, première ministre de l’Inde, et une salle parfois houleuse de militants.

Le responsable de la conférence de Stockholm, Maurice Strong, et le défilé des jeunes. Sans un seule policier à l'horizon.

Au delà des décisions prises et oubliées, Stockholm fut une fête de la parole, un festival de révélations et d’échanges sur l’état du monde, sur les pollutions, sur les destructions, sur la démographie, sur les famines, sur l’agriculture, sur la baisse déjà constatée de la biodiversité, sur le mauvais état des mers, sur la régression de la forêt amazonienne, sur le sous développement ou sur le (mauvais) sort trop souvent réservé aux Peuples Premiers. Toutes les questions qui motivent aujourd’hui la mouvance environnementalistes, y compris celle du réchauffement climatique étaient déjà posées. Tous les jours, un quotidien associatif financé par les Suédois sans aucune contrepartie ni censure, et sous-titré « L’environnement c’est de la politique », rendait compte des affrontements verbaux et idéologiques au sein de la société civile et entre les officiels. Peut-être, il ne faut pas écarter cette hypothèse, parce que le mouvement environnementaliste et écologique n’était pas encore professionnalisé, la conviction et la connaissance des dossiers tenant alors lieu d’une force de frappe que nombre d’apparatchiks de l’environnement n’ont peut être plus toujours. L’écologie politique restait balbutiante en France et les associations françaises ont été peu représentées dans un rassemblement dominé par les Anglo-Saxons et, aspect plus surprenant, par des militants et des délégations de ce qui se nommait encore le tiers-monde.

Le 14 juin, à l’issue d’une conférence qui dura une dizaine de jours, un cortége bariolé de milliers de jeunes a parcouru la ville. Sans escorte policière, même lorsque les premiers rangs, plutôt dénudés, parvinrent au pied des marches de la conférence officielle. Ils apportaient une résolution demandant « un moratoire arrêtant pendant dix ans le meurtre de tout être humain » dans lequel était notamment écrit : « Que pour une période d’essai de dix ans commençant le 1er juillet 1972, tous les gens de la terre et tous les gouvernement ayant la prétention de représentants ces gens, qu’ils soient tribaux, locaux, nationaux ou internationaux, reconnaissent que l’Homo sapiens est une espèce en danger et proclament dans l’allégresse un moratoire de dix ans à la chasse, au massacre et à l’empoisonnement de l’environnement des êtres humains ». Un texte qui reste hélas d’actualité…

En ce début d’après-midi, surgit de la plénière, le Canadien Maurice Strong (1) descendit les marches, son strict costume et sa cravate tranchant sur les couleurs du cortège. Après avoir écouté la proclamation il expliqua qu’il était entièrement d’accord avec son contenu. Succès garanti. Il faut bien sur faire la part de la récupération dans cette étonnante rencontre mais quelles qu’aient été les arrière-pensées des uns et des autres, la scène illustrait parfaitement l’atmosphère d’une conférence qui vit les militants et le jeunesse faire pression sur les gouvernements et être sinon écoutés, au moins entendus. Pour le plus grand bénéfice de l’opinion publique jusque là indifférente.

Pour le reste, malgré l’opposition, soulignée par les leaders du tiers- monde, entre les pays développés inquiets des destructions et pollutions et les pays du Sud en besoin de développement contre la misère, la Conférence adopta des mesures ou des résolutions qui seraient aujourd’hui considérées comme novatrices. Qu’il s’agisse des ressources naturelles, des rejets toxiques, de la préservation de la flore et de la faune sauvage, de la pollution des mers, de la surpêche, des catastrophes naturelles, de la stabilité des prix agricoles et des matières premières, de l’action de organismes internationaux, de l’indemnisation des victimes de pollution ou de la fin de l’impérialisme des nantis. Tous ces points étant précisés et développés dans une déclaration en 25 articles dont la négociation dura plusieurs jours et plusieurs nuits car, on contraire de ce qui se passe désormais, elle n’avait pas été rédigée à l’avance par des technocrates internationaux.

Mais la suite prouva que, pour les gouvernements, le chemin à parcourir était encore long et que les conférences seraient hélas condamnées à régresser ou à se répéter sous les influences conjuguées des égoïsmes étatiques, des lobbies industriels et de la mondialisation.

Journal quotidien publié sur 12 pages par les associations pendant toute la conférence

(1) Devenu ensuite directeur du Programme des Nations Unies pour l’Environnement créé par la conférence

Temps de lecture : 6 minutes
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