Doha: échec, et écolos-assureurs même combat…?

Ni les experts du GIEC, le Groupe International pour l’Etude du Climat, ni les compagnies d’assurance n’ont réussi à convaincre les Etats de la situation d’urgence de la planète

Claude-Marie Vadrot  • 9 décembre 2012
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La conférence climatique de Doha s’est terminée samedi soir après avoir joué les prolongations alors que des dizaines de délégations de pays du sud avaient déjà quitté la capitale du Qatar faute de pouvoir assurer le financement de coûteux changements de billets d’avion et ne pouvant s’offrir des nuits supplémentaires d’hôtels. Ils ont donc vécu l’échec des négociations en arrivant dans leurs pays. La conférence, sous les influences conjugués des Etats Unis, de la Chine et de la Russie n’a pas réussi à gommer les égoïsmes nationaux et régionaux puisqu’il n’y a toujours pas d’argent pour aider les pays du Sud à lutter et que le Protocole de Kyoto n’a été renouvelé que par 35 pays qui ne représentent que 14 % des émissions de gaz à effet de serre de la planète. Les compagnies d’assurance et les experts du GIEC, curieuse alliance de circonstances, auront été impuissants, au delà des discours flamboyants, à convaincre la communauté internationale de l’imminence des dangers…

Lorsque Michael Bloomberg, le maire de New York, a décidé de faire évacuer des quartiers entiers de sa ville et contraint des centaines de milliers d’habitants à déménager provisoirement à l’approche de l’ouragan Sandy, il l’a certes fait pour sauver des vies et limiter la tâche des sauveteurs. Mais surtout, il a agit sous la pression insistante des grandes compagnies d’assurance et de réassurance soucieuses, si rien n’était possible pour éviter les dégats matériels, d’inciter les habitants à mettre leurs biens les plus précieux à l’abri et d’éviter les pertes en vue humaines qui leur coûtent très cher. Quelques jours avant que la tempête s’abatte sur la ville, les assureurs avec l’aide du cabinet spécialisé « Kinetic analysis corporation » , avaient évalué leur facture potentielle à 2,5 milliards de dollars. D’où leur insistance pour une évacuation maximale. Le montant des dégats, pour la seule ville de New York, sera finalement de 19 milliards dont 3, 8 seront supportés par les compagnies d’assurance : elles estiment que leur interventions à permis de limiter les (leurs) dégâts. L’histoire est racontée, avec force détails, dans les couloirs de la conférence de Doha par le patron d’une grande compagnie affiliée à Munich Re, l’énorme groupe allemand d’assurance et surtout de réassurance, qui prend en charge plusieurs milliers de sociétés réparties dans une bonne centaine de pays.

Comme les représentants de Munich Re (pour Müncheneur Rückversicherungs), ce patron « milite » depuis des années pour une lutte plus efficace et planétaire contre le réchauffement de la planète. Il n’a pas plus la fibre écolo que ses collègues de la haute structure exécutive des assureurs, mais il sait que l’augmentation de la fréquence et de la force des catastrophes naturelles, les petites comme celles dont tout le monde parle, obère de plus en plus sur les profits du secteur. Au point parfois de peser fortement sur les cours en bourse. Comme en 2010 année à la fin de laquelle les assureurs ont affiché un déficit global de 108 milliards de dollars, dont 103 attribuables aux catastrophes naturelles climatiques.

En 2011, l’une des années noires de l’assurance contre les aléas naturels, les dégâts se sont montés à 380 milliards de dollars dont au moins 110 ont été remboursés par les assureurs ou les réassureurs. Déjà, de 2001 à 2010, décennie la plus coûteuse de l’histoire de l’assurance, la facture totale s’était élevée à 1023 milliards de dollars de dégats dont 327 milliards à la charge des assureurs. Lesquels expliquent dans leurs analyses statistiques que 43,3 % de leurs remboursements concernaient les cyclones, ouragans et orages et 23 % les inondations. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les séismes comptent peu dans le panier des remboursements : 13 % pour cette période 2001-2010. Le reste concerne de plus en plus souvent ceux qui sont liés aux élevages et récoltes touchés par les sécheresses. Une calamité dont l’occurrence est remarquée par les assureurs : aux Etats Unis, leurs remboursements pour 2012 aux agriculteurs et aux sociétés agricoles promettent d’être très importants, cette sécheresse ayant touché 41 Etats.

Au cours de cette même décennie, la France a été la proie de 846 événements climatiques ayant entraîné la mort d’un millier de personnes et ayant coûté 15 milliards de dollars aux assureurs. Pour la simple période de gel inattendu de février 2012, la note des assureurs se monte à 500 millions d’euros. Ces chiffres rappellent, ce que soulignent les représentants des assureurs, que les pays du Nord et du Sud ne sont pas égaux devant les catastrophes naturelles ni devant les remboursements ; ainsi le montant des dégats infligés à Haïti par Sandy avant de toucher les USA se monte à plusieurs centaines de millions de dollars et ont provoqué le même nombre de morts qu’à New York, mais cet épisode ne coûtera pas grand chose aux assureurs dans un pays où seuls les plus riches et quelques entreprises sont assurés.

Pendant les six premiers mois de 2012, le montant des dégats climatiques mondiaux, s’est élevé à 26 milliards de dollars dont 12 milliards à la charge des assurances. Une estimation faite avant les évènements climatiques survenus depuis. Notamment les sécheresses, l’ouragan Sandy et celui qui ravage actuellement les Philippines. Les assureurs sont donc encore plus présents à Doha qu’ils ne l’étaient à Copenhague ou à Cancun pour tenter de faire comprendre aux diplomates et aux négociateurs que le poids des catastrophes naturelles atteint un niveau insupportable pour leurs sociétés. Ils menacent de ne plus rembourser, ou en échange de primes aux montants prohibitifs, les conséquences d’événements climatiques dont ils estiment que nombre d’entre elles pourraient être évitées par une meilleure gestion environnementale de la planète. Ils insistent sur les deux points qui leur paraissent essentiels : la préparation d’une résistance aux événements climatiques de plus en plus sévères, notamment dans les pays qu’il appellent « vulnérables » ; et ensuite des décisions qui permettraient de limiter le réchauffement global à 2°. Positions qui les amènent à reprendre beaucoup des avertissements des associations environnementales et à soutenir les conclusions du récent rapport de la banque mondiale. Bref, écolo et assureurs, mêmes combats. Dans l’une des lettres confidentielles qu’ils publient, on pouvait lire le 4 novembre dernier : « Il faut repenser la façon dont les entreprises produisent ainsi que l’utilisation des combustibles et la déforestation industrielle. En effet le lien entre écologie et économie est trop souvent sous estimé » .

En attendant, les affaires continuent, puisque, pour se couvrir et ramasser de l’argent frais, les assureurs ont inventé récemment les Cat Bond (pour Catastrophy Bonds), des « actions » qui transforment les contrats d’assurance contre les catastrophes naturelles en titres boursiers cotés et négociables . Cette financiarisation du dérèglement climatique remporte un gros succès auprès des grandes banques mondiales. Avec un danger souligné par l’un de mes interlocuteurs : « si plusieurs ouragans et inondations ravagent le monde, particulièrement les pays industrialisés, au cours de la même année, le risque que ces Cat Bond deviennent des dettes pourries et entraînent une cascade de faillites est très grand » .

Temps de lecture : 6 minutes
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