Union européenne-Etats-Unis : dans les coulisses du projet de grand marché transatlantique

Le mouvement belge d’éducation populaire (Cepag), proche de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB wallonne), a lancé une plateforme (voir ici) dénonçant le projet de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement entre les États-Unis et l’Union européenne. Bruno Poncelet, syndicaliste, formateur et spécialiste des accords de libre-échange, livre le contenu des tractations qui ont précédé le lancement des négociations, prévues fin juin.

Thierry Brun  • 30 mai 2013
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Union européenne-Etats-Unis : dans les coulisses du projet de grand marché transatlantique

Un texte de lancement de la plateforme (voir ici) donne les raisons de l’engagement des signataires, dont des personnalités politiques et syndicales françaises, contre le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) entre l’Union européenne et les États-Unis. Ce PTCI préparé depuis plusieurs années en toute discrétion, jette les bases d’un marché transatlantique pour 2015. Le projet implique « la mise en place de nouvelles institutions transatlantiques, comme le Conseil économique transatlantique, qui agissent de façon non démocratique (pas de débat parlementaire, représentants non élus) pour influencer un nombre croissant de décisions politiques » , indique la plateforme qui dénonce « l’harmonisation de nombreuses législations européennes et américaines aussi bien sur le plan commercial que sécuritaire, une diplomatie européenne de plus en plus alignée sur celle des États-Unis, la mise en place d’une gouvernance mondiale basée sur les normes marchandes » .
Le syndicaliste Bruno Poncelet est le premier à répondre à nos questions dans une série d’entretiens que nous avons réalisé autour des négociations de ce partenariat, qualifié par José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, de « plus important au monde » .

La FGTB wallonne a très tôt mis en évidence le contenu des échanges entre les États-Unis et l’Union européenne autour d’un partenariat transatlantique…

Bruno Poncelet : On a tiré la sonnette d’alarme dès 2009 en expliquant que se négocie un accord qui n’est pas bon du tout pour la démocratie et les citoyens. On s’est rendu compte qu’il y avait des tractations secrètes sur le marché transatlantique et on a mis en place un réseau d’opposition à ce marché en Belgique qu’on souhaiterait internationaliser (www.no-transat.be). Un site a été créé et le texte de la plateforme s’opposant au projet de partenariat transatlantique entre l’Europe et les États-Unis a été notamment signée par des représentants de syndicats et de partis politiques français.

Comment avez-vous pris connaissance du mandat de négociation de la Commission européenne ?

Nous avons pu étudier, en mars, un des brouillons du mandat de négociation de la Commission européenne, suite à une fuite. Mais ce qui caractérise la dynamique transatlantique, c’est que les acteurs concernés comme la Confédération européenne des syndicats ne sont pas tenus au courant des textes et des avancées du projet de façon officielle. Tout au long de l’année 2012 des consultations dites publiques organisées par la Commission européenne. Nous avons découverts par hasard ces consultations, dont deux ont été organisées par la division commerce de la Commission européenne. Autrement dit, si vous n’allez pas consulter régulièrement la division commerce de la Commission, vous n’avez pas accès à ces informations. Les réponses aux trois consultations organisées en 2012 ont été communiquées de façon écrasante par les lobbies marchands et les firmes privées.

Quelles sont les organisations les plus influentes ?

Les entreprises multinationales sont au cœur du processus de préparation des négociations, et ce depuis que dans les années 1990 des tentatives de projets d’accord pour un partenariat transatlantique entre les États-Unis et l’UE ont été lancées. Ces initiatives ne viennent pas des politiques mais des multinationales qui sont présentes dans différents lobbies. Les chambres américaines de commerce et le Transatlantic Business Council (TBC), un lobby d’affaires, en font partie. Un troisième est plus inquiétant : le Transatlantic Policy Network (TPN) est constitué pour moitié de firmes multinationales dont Nestlé, AT&T, Hewlett Packard, BASF, Dow Chimical, Bayer, Walt Disney Company, Time Warner, etc.
Des parlementaires européens et des élus du Congrès des Etats-Unis constituent l’autre moitié du TPN. Les principaux groupes politiques au Parlement européen sont présents : les conservateurs du PPE, les socialistes de S&D et l’ADLE, qui représente une partie de la droite, ainsi que deux eurodéputés Verts. Le seul groupe politique qui n’a aucun de ses membres dans le TPN est la Gauche unitaire européenne (GUE). En tout, 60 députés européens, plus de 8 % du Parlement, sont membres du TPN. Une majorité écrasante sont des élus allemands, des élus du Royaume Uni et de l’Espagne. La France est en quatrième position avec trois parlementaires de l’UMP : Françoise Grossetête, Joseph Daul et Alain Lamassoure.

Pourquoi le TPN est-il si important dans le lobbying en faveur d’un partenariat transatlantique ?

Le TPN a été constitué en 1992 pour resserrer les liens entre l’Europe et les États-Unis en matière de politiques sécuritaires, dans le prolongement de l’Otan, et de relations commerciales en harmonisant les réglementations pour les transférer d’un échelon national ou européen à un échelon transatlantique. La sphère du pouvoir a progressivement été transférée vers des instances qui ne sont pas élues, notamment des commissions de gouvernance transatlantique qui sont constituées d’experts inconnus des citoyens, non élus selon des procédures démocratiques, mais bien connus du monde des multinationales. Ainsi, à chaque fois qu’il y a eu des initiatives en matière transatlantique des membres du TPN étaient à l’avant-poste.

Chaque année a lieu un sommet transatlantique et à chaque avant-sommet des contributions sont adressées aux politiques. En octobre 2011, le TPN a ainsi réalisé un document de travail destiné au sommet en demandant une initiative pour la croissance et l’emploi dont le but est d’éliminer les dernières taxes douanières existantes entre l’Europe et les États-Unis, mais surtout en s’attaquant aux législations de manière à permettre une circulation absolue des produits et des capitaux. En novembre 2011, le sommet transatlantique décide officiellement de créer un groupe de travail de haut niveau pour l’emploi et la croissance. Le copié-collé avec l’initiative du TPN est évident, parce que les objectifs fixés sont les mêmes.

Un conseil européen devrait donner son accord le 14 juin pour l’ouverture des négociations d’ici la fin de l’année. Y a-t-il des obstacles à ce que débutent ces négociations ?

Il y a peu d’obstacles. S’il y en a, ils sont de façade. Quelques points ne seront pas négociés comme l’exception culturelle. Retirer un secteur des négociations est certes une bonne chose, mais un accord de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement est négatif pour l’ensemble des secteurs. La philosophie générale du projet est clairement arrêtée, quelle que soit le mandat de négociation de la Commission européenne. Il s’agit d’uniformiser les législations pour permettre une libre circulation marchande des capitaux, la libre localisation des produits et des services d’une rive à l’autre de l’Atlantique, pour les grandes entreprises.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les normes de protection sociale, de protection du travail et de protection environnementale ne seront pas uniformisées. On va ainsi favoriser la compétitivité à travers des pratiques de dumping autour de ces normes. Et on crée un univers qui fait qu’un cas comme Florange, fermé par ArcelorMittal, va devenir la règle. De grands groupes financiers européens et américains vont dominer des secteurs d’emplois importants et pourront délocaliser en toute impunité et sans aucune contrainte.

En quoi les négociations pour ce partenariat menacent-elles les législations ?

Ce qui est clair dans la façon de travailler de la Commission, c’est que l’accord vers lequel on ira ne pourra pas contredire les engagements de l’UE au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cela veut dire que dès qu’un pays tentera de mettre des barrières, par exemple des critères éthiques aux normes de production des produits qu’il a créé sur son territoire, l’OMC lui dira que ce n’est pas légal. L’OMC s’intéresse au travail et à l’environnement pour affirmer que cela ne peut jamais être des clauses qui contesteront le droit de libre circulation des marchandises.
Dans le mandat de négociation de la Commission, il y a une réelle menace d’autoriser un règlement des différents entre États et multinationales, c’est-à-dire le droit pour les multinationales et les investisseurs de porter plainte contre les États pour exiger des dommages et intérêts quand une politique publique ne leur plaira pas.

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