Eau potable : une nouvelle preuve du scandale des analyses privées

Du nouveau sur un scandale de santé publique en devenir. En complément de l’enquête sur les analyses de l’eau potable, publiée jeudi 6 juin (lire ici), les laboratoires publics départementaux chargés du contrôle sanitaire de l’eau et les personnels de certaines agences régionales de santé tirent la sonnette d’alarme et mettent en cause, preuve récente à l’appui, les laboratoires privés.

Thierry Brun  • 6 juin 2013
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Ce devrait être une bonne nouvelle pour la commune de Saint-Paterne-Racan (Indre-et-Loire) : il n’y aurait plus de pollution aux nitrates et par conséquent « l’eau d’alimentation [serait] conforme aux exigences de qualité en vigueur pour l’ensemble des paramètres mesurés » , peut-on lire dans le document daté du 23 mai qui nous a été transmis par les agents de l’agence régionale de santé (ARS) Centre et par les personnels de du laboratoire public de Touraine, qui a perdu récemment le marché des prélèvements et des analyses du contrôle sanitaire de l’eau au profit d’Eurofins, un groupe privé.

Ce document parvenu à l’ARS Centre, que nous publions ci-dessous, est qualifié de « perle » par un spécialiste. Il s’agit d’une fiche de contrôle sanitaire des eaux transmise par le laboratoire privé Eurofins , dont les résultats doivent être affichés en mairie.

A la ligne des paramètres « azotes et phosphores », on lira que la pollution aux nitrates a quasiment disparu : inférieure à 0,5 mg/l . Mais l’ARS Centre note dans sa « conclusion sanitaire » (surligné sur le document, en bas) : « Il est à noter la valeur des nitrates qui n’est pas représentative de l’eau qui est habituellement distribuée à Saint-Paterne-Racan (environ 40 mg/l) » .

Commentaire de notre expert : « Une ressource en eau connue depuis des lustres pour se situer à un niveau de pollution aux nitrates à 40 mg/l se retrouve comme par miracle à 0 mg/l. Cela veut dire que maman peut faire le biberon de bébé avec cette eau sans problème » .

Pour lui, «  c’est rigoureusement impossible. Une eau polluée ne peut pas se retrouver du jour au lendemain non polluée ! C’est une honte. Cela doit être sanctionné par l’annulation du marché en cours pour incompétence notoire. Quand je pense qu’il y a à Tours un laboratoire public [du conseil général d’Indre-et-loire] accrédité et agréé, sur lequel ne pèse aucune suspicion » .

Ce cas, qui n’a rien d’exceptionnel, montre que de potentielles affaires de santé publique sont en devenir sur le contrôle sanitaire de l’eau. En effet, la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) a ouvert à la concurrence le contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine et des eaux de loisirs, désormais piloté par les agences régionales de santé (ARS).

En quelques années, deux groupes privés, Eurofins et Carso, ont fait main basse sur des segments de ce marché, plus rentables que d’autres.

Les grands laboratoires privés ont délaissé les analyses des eaux de loisirs et les ressources privées, dont les contraintes logistiques sont fortes et rendent difficilement rentable un service de proximité que seuls des laboratoires publics départementaux sont en mesure de réaliser.
Mais ils se sont emparés du marché du contrôle de la qualité de l’eau potable. Il est aujourd’hui entre les mains d’un monopole privé aux pratiques tarifaires très agressives.

« Comment assurer des résultats de qualité quand certaines offres de prix correspondant à des réductions de 70 à 80 % des tarifs précédemment pratiqués ? Que penser notamment de la disparition soudaine de certains pesticides dans l’eau quand les analyses ne sont plus confiées à un laboratoire public ? » , s’interrogent l’association des directeurs et des cadres des laboratoires publics agréés pour les analyses des eaux (ASLAE) et l’association des directeurs et cadres des laboratoires vétérinaires publics d’analyses (ADILVA).

« On ne doit pas jouer avec la santé des gens. Des affaire récentes devraient faire réfléchir les responsables » , conclut notre expert. L’enquête publiée dans le numéro de Politis daté du 6 juin (Lire ici), rappelle que le cas de Saint-Paterne-Racan n’est pas isolé.

Une note d’information de la direction générale de la santé (DGS), adressée aux agences régionales de santé, qui concerne l’accréditation d’Eurofins, indique qu’en cas « de constatation de nouveaux dysfonctionnements l’agrément pourrait être retiré en urgence. (…) Le retrait de cet agrément pour les micropolluants organiques aurait pour conséquence la suspension d’une partie des prestations des marchés en cours du contrôle sanitaire et la réquisition de laboratoires agréés par le ministère chargé de la Santé » . Ce que demandent plusieurs élus à la ministre de la Santé, Marisol Touraine.

Le marché du contrôle de la qualité des eaux a été remporté par Eurofins et Carso dans la plupart des départements. Deux groupes privés ont le monopole du contrôle de l’eau potable Carso, acteur majeur du dumping commercial, a obtenu en 2010 20 millions d’euros du Fonds stratégique d’investissement (FSI) pour financer son développement. En 2012, Eurofins optimise ses résultats en délocalisant son siège social de Nantes à Luxembourg. La même année, son chiffre d’affaires a dépassé le milliard d’euros et le groupe s’est fixé comme objectif d’atteindre 210 millions d’euros de bénéfice en 2013.

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