La CRESS Bretagne propose une alternative à la confusion des « bonnets rouges »

Les manifestations bretonnes, avec lesquelles les forces syndicales ont su prendre leur distance, traduisent à coup sûr un malaise mais surtout une grande confusion. On se croirait revenu au temps de ‘Quatrevingt Treize » de Victor Hugo où les descendants des « bonnets rouges », paysans et ruraux sur-exploités par les seigneurs, enfermés par les évêques, s’étaient retrouvés enrôlés par ces mêmes seigneurs, ces mêmes évêques contre la République.
Dans cette confusion, il est heureux de voir que les acteurs bretons de l’ESS se soient réunis au sein de leur CRESS pour prendre la parole et proposer des éléments d’alternative dans le cadre du « Pacte d’avenir pour la Bretagne ». Nous publions ici le texte de la CRESS.
Cela souligne si besoin en était la pertinence de la structure et de la démarche des CRESS.

Jean-Philippe Milesy  • 20 novembre 2013
Partager :

*Ouvrir de nouveaux horizons pour la Bretagne

Les mutations de la société française dans les dernières décennies ont profondément altéré le modèle social issu du Conseil National de la Résistance. Les plus défavorisés ont été les premiers touchés, mais progressivement, les classes moyennes se sont trouvées également fragilisées. Le modèle économique dominant depuis une trentaine d’années, montre actuellement ses limites.

La crise financière de 2008 en a été l’aboutissement paroxystique. Il ne faudrait pas en oublier les causes profondes : les dérives du capitalisme financier déterritorialisé et la recherche, à court terme, d’une rentabilité économique excessive. Les solutions mises en œuvre pour y répondre ont reporté les difficultés sur l’ensemble du tissu économique, donc sur l’ensemble de la société.

Relativement épargnée jusqu’à maintenant, la Bretagne vit actuellement une crise qui doit être analysée dans ce contexte de mutation sociétale. Les événements de ces derniers jours ne sont que le révélateur de difficultés prévisibles depuis de nombreuses années et dont les solutions doivent être recherchées dans des évolutions structurelles des secteurs et entreprises concernés.

Les dispositions qui les ont déclenchés sont conjoncturelles. Tout en traitant les conséquences immédiates pour les personnes précarisées par les difficultés économiques actuelles, cela oblige à poser un regard lucide et distancié sur la situation afin de construire, à moyen et long terme, une économie durable pour la Bretagne prenant en compte l’ensemble des aspirations et des besoins des citoyens bretons.
Un modèle breton fragilisé, mais une région qui a du potentiel

La réussite économique de la Bretagne s’est construite sur le développement de secteurs d’activité qui représentent aujourd’hui une part importante des emplois bretons. Nombre de ceux-ci, parmi les plus emblématiques, sont aujourd’hui fragilisés :une industrie automobile qui a du mal à trouver un nouveau souffle autour du modèle « tout voiture, tout pétrole » dans un marché européen saturé,
– une industrie électronique qui s’étiole face à la délocalisation de la production vers des pays à bas coût,
– une agriculture et une pêche intensives dont les méthodes de production sont socialement remises en cause, qui atteignent leurs limites environnementales par l’épuisement des ressources et l’augmentation des difficultés à en vivre pour bon nombre de leurs acteurs,
– une industrie agroalimentaire qui, lorsqu’elle s’est développée autour de produits à faible valeur ajoutée, n’a pas su passer le cap de la suppression des aides publiques à l’exportation,
– un tourisme dont le patrimoine vieillissant laisse augurer de difficultés grandissantes à attirer des visiteurs dans notre région durant leurs loisirs.

De plus, l’éloignement des centres de décision rend souvent plus aisé une certaine indifférence aux difficultés provoquées pour les personnes et les territoires concernés, facilitant ainsi la mise en place de plans sociaux.
_ Enfin, la Bretagne est une région périphérique au regard de l’espace européen, ce qui oblige à regarder les problématiques de transport avec une grande attention.

Cependant, il ne faudrait pas être exagérément pessimiste quant à la situation sociale et économique bretonne. De nombreuses entreprises sont en bonne santé économique, y compris dans les secteurs d’activité cités ci-dessus, et en particulier dans l’Economie Sociale et Solidaire. Elles créent des emplois ou maintiennent ceux qui existent.

Les acteurs socioéconomiques et les pouvoirs publics ont, depuis quelques années, pris la mesure des fragilités identifiées. D’une part, ils ont construit les plans d’action structurels en particulier à l’occasion de l’élaboration de la Stratégie Régionale de Développement Economique et d’Innovation, mais également de la  » Nouvelle Alliance entre la Bretagne et ses agriculteurs ». Ils ont, d’autre part, identifié les potentiels sur lesquels construire la Bretagne de demain :
– le développement des énergies marines renouvelables en cours et le développement de plateformes de maintenance,
– la localisation en Bretagne de recherche dans des secteurs, des matériaux et des processus d’avenir (automobile de demain, smart grid, biotechnologies, matériaux d’isolation, …) en lien avec les entreprises concernées,
– l’émergence de nouveaux modèles d’agriculture et d’économie du monde rural : agriculture écologiquement intensive, agriculture biologique, circuits courts, …
– un tissu entrepreneurial constitué de PME et ETI fortement ancrées dans leur territoire,
– l’innovation sociale maintenant reconnue comme constitutive du développement économique en contribuant à la qualité de vie sur les territoires et dans les entreprises. Aujourd’hui, des réalisations concrètes émergent et commencent à produire des effets significatifs,
– une Economie Sociale et Solidaire dynamique qui, malgré les difficultés économiques, continue à créer de l’emploi et dispose d’une stratégie de développement qui identifie les conditions pour changer d’échelle,
– la capacité à construire des alliances transcendant les idéologies et les différences, permettant de mobiliser les forces vives de la Bretagne pour mettre en place des projets collectifs structurants dépassant les domaines de concurrence et s’appuyant sur des coopérations,
– un espace naturel, maritime et terrestre, dont les potentialités d’utilisation durable sont à développer,
– une région qui a une identité forte forgée à partir de son histoire, sa culture, ses langues, ses paysages, son patrimoine, ses traditions et ses valeurs. Son image positive est ressentie en Bretagne et perçue bien au-delà des frontières régionales et nationales, conférant à notre région une attractivité forte et une capacité d’accueil et d’intégration certaine.

Répondre à l’urgence et ouvrir de nouveaux horizons

Répondre à l’urgence de la situation

A très court terme, il est nécessaire de prendre en compte les personnes que la crise laisse sur le bord du chemin : les plus fragiles, ceux qui ont le moins de ressource pour utiliser les difficultés actuelles afin d’en faire les réussites de demain, en particulier ceux qui occupent les emplois les moins qualifiés.

Au-delà des aides individuelles pour les personnes privées d’emploi, il sera également nécessaire de soutenir des secteurs d’activité et des entreprises aujourd’hui en difficulté mais qui sont de grands pourvoyeurs d’emploi.

Cependant, les modalités de ces aides ne sauraient conforter des modèles sans avenir qui, s’ils perdurent en l’état, seront à l’origine des prochaines crises et difficultés structurelles. Les pouvoirs publics doivent conditionner leur action à des évolutions des situations actuelles vers des modèles économiques durables prenant en compte l’ensemble des paramètres aujourd’hui sur la table : emploi, répartition des richesses, effet sur l’environnement, prise en compte des parties prenantes (fournisseurs et clients) … tout ce qui constitue aujourd’hui la responsabilité sociétale des entreprises.

S’engager résolument dans la construction de solutions d’avenir

En parallèle à la mise en place de ces mesures d’urgences, il convient de préparer l’avenir en créant les conditions nécessaires à l’émergence des secteurs d’activité et des entreprises de demain en capacité de construire une économie responsable grâce à la coopération entre les acteurs économiques :
– une économie basée sur l’engagement des citoyens (place de la société civile dans la gouvernance économique, place des salariés dans la gouvernance des entreprises, mobilisation de l’épargne citoyenne au service du développement local, développement des circuits courts pas seulement agricoles, …) nécessite de construire d’autres modalités de partage des richesses produites ;
– une économie basée sur des industries et des services à forte valeur ajoutée (énergie marine renouvelable, industrie alimentaire de transformation produisant des produits de haut de gamme, agriculture s’orientant vers des produits haut de gamme produits avec les méthodes modernes de culture, un tourisme qui s’inscrit en phase avec les nouvelles aspirations des citoyens durant leurs loisirs, …) ;
– résoudre la question de la dépendance énergétique : diversifier et décentraliser la production d’énergie en développant les énergies renouvelables à partir de la mer, la biomasse, l’éolien et le solaire (filière à reconstruire); accélérer la rénovation thermique des habitations et des locaux professionnels ; développer l’ingénierie financière pour ce faire (mobiliser les fonds européens disponibles ; faciliter les projets citoyens en mettant en place les dispositifs financiers adéquats ;
– développer des modalités de transport collectif économes en énergie pour les personnes et les marchandises. Réaliser les infrastructures nécessaires pour densifier et moderniser le réseau ferroviaire afin de permettre du ferroutage, généraliser le co-voiturage, mettre en place le cabotage maritime ;
– développer l’économie circulaire qui doit, d’une part, prendre en compte, dès la conception des processus de production, l’utilisation des déchets qu’elle produit comme matière première pour un autre cycle productif et, d’autre part, optimiser le traitement des déchets dans des filières de recyclage et de réemploi généralisées ;
– faciliter les coopérations entre la recherche universitaire et le monde des entreprises afin de faciliter la conception de processus et de produits innovants ;
– développer l’entrepreneuriat, y compris quand il prend les formes de l’ESS, en particulier créer une dynamique de reprise transmission des entreprises aux salariés ;
– soutenir l’innovation sociale visant l’amélioration de la qualité de vie en répondant aux besoins peu ou pas satisfaits dans les territoires et au sein des entreprises ; faciliter la mise en place d’écosystèmes d’innovation sociale dans tous les territoires de vie bretons.

L’Economie Sociale et Solidaire, des emplois durables pour demain

Dans le cadre proposé ci-dessus, il importe de repérer les secteurs d’activités qui à court, moyen ou long terme créeront probablement les emplois durables de demain.
_ En Bretagne, l’ESS représente une réalité économique et sociale incontestable : 14% de l’emploi privé, plus de 144 000 salariés et de 13 500 établissements, ce qui la place au premier rang des régions françaises pour le poids de l’ESS.

Dans la continuité de ces dernières années, et y compris dans les années qui ont suivi la crise financière, l’emploi dans l’Economie Sociale et Solidaire a continué à croître. Alors qu’en 2012, en Bretagne, l’emploi privé subissait une chute de 1548 ETP, l’ESS a créé 754 postes (1).

Cette croissance régulière depuis de nombreuses années se ralentit depuis 2011. Cependant, le vote de la loi relative à l’ESS et la mise en place d’outils et de dispositifs structurants (Banque Publique d’Investissement, Bretagne Active, Programme Investissement d’Avenir ESS, Conseil Régional de Bretagne, …) laissent à penser qu’une nouvelle marche pourrait être franchie dans le « changement d’échelle » souhaité par le gouvernement (2), les collectivités locales bretonnes et les acteurs de l’ESS eux-mêmes.

En effet, l’Economie Sociale et Solidaire s’inscrit dans une autre façon de faire de l’économie soucieuse de ses responsabilités sociétales, du partage des richesses qu’elle produit, de la qualité des emplois qu’elle crée, de leur ancrage dans les territoires, de l’implication des citoyens dans le pilotage des projets, … autant de principes situés au cœur des caractéristiques de l’économie dont la Bretagne aura besoin demain pour ouvrir de nouveaux horizons.

Demain, dans la continuité du vote de la loi relative à l’ESS, les entrepreneurs bretons de l’Economie Sociale et Solidaire se font fort de continuer leur participation au développement économique et social de la Bretagne. Une ESS forte et dynamique, c’est le gage d’une base d’emplois non délocalisables ; le renforcement d’un tissu d’entreprises préoccupées par un développement équilibré et durable de la région ; d’une collaboration avec les entreprises capitalistiques, comme nous en avons l’habitude depuis plusieurs années, afin de mettre en place les synergies nécessaires pour construire et stabiliser l’économie de demain.

Pour ce faire, en ce qui concerne l’accompagnement du développement, il sera nécessaire de créer les cadres structurants propres à l’Economie Sociale et Solidaire, afin de prendre en compte sa spécificité (3) , en articulation avec les réseaux chargés d’accompagner les entreprises.

(1) Sources Acoss/URSSAF – observatoire régional de l’ESS / CRESS – Conjonctur’ESS n°3 – octobre 2013
(2) Voir introduction du texte de loi relatif à l’ESS adopté par le Sénat le 8 novembre 2013.
(3) Voir Rapport de Madame Clotilde Valter, députée, au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi de finances pour 2014 (n° 1395) – 10 octobre 2013*

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 10 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don