UKRAINE: des milliers de morts, des milliers de blessés et Poutine joue la montre pour occuper une partie du pays

Claude-Marie Vadrot  • 9 février 2015
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5300 morts en quelques mois. Des militaires ukrainiens, des partisans de l’indépendance, des femmes, des enfants. Sans oublier au moins 165 soldats russes enterrés discrètement et supposés avoir péri « pendant des manœuvres dans la région de Rostov ». A ces victimes s’ajoutent des milliers de blessés graves et environ 160 000 réfugiés dont le dénuement pèse sur l’économie d’un pays proche de la faillite. Sans être un fan de François Hollande, on ne peut qu’être d’accord avec lui quand il nomme « guerre » ce qui se déroule depuis des mois dans l’Est de l’Ukraine. Certes, on est encore loin des 200 000 victimes de la guerre qui a ravagé les Balkans après l’éclatement de la Yougoslavie au cours des années 90 ou de celles qui se poursuivent en Syrie ou en Irak, notamment mais pas seulement, en exploitant ou entretenant des antagonismes religieux et nationaux. Mais l’intensification des combats grâce à une participation russe que seul, et sans grande conviction, Vladimir Poutine et ses ministres n’admettent pas peut se terminer par un massacre à trois heures d’avion de Paris.

Une participation avec des hommes, comme le montrent les papiers retrouvés sur des hommes tués dans le Dombas, mais surtout comme le répète, avec des preuves l’association des Mères de Soldats de la Fédération de Russie qui se bat depuis des années pour que la vie des armées du pays bénéficie d’une transparence totale. Qu’il s’agisse de la Géorgie, de la Tchétchénie, de la Crimée ou de l’Est ukrainien mais aussi de la vie quotidienne des militaires russes, notamment des appelés qui doivent un an de service à leur pays. Tous, professionnels ou conscrits, racontent les conditions éprouvantes de vie, de nourriture et de brimades. Ce qui explique sans doute que, chaque année, la moitié des jeunes s’efforcent (et réussissent…) de l’éviter. Dans quelques semaines, les « nouveaux russes » de Crimée seront aussi astreints à ce service militaire.

Au-delà de la participation des commandos et des techniciens, souvent appuyés par des équipes de Cosaques, il y a le matériel qui traverse une frontière dont l’Etat Ukrainien n’est plus maitre. Quant aux observateurs de l’OSCE, non seulement ils ne sont pas nombreux et souvent interdits dans certains secteurs, mais ils doivent de toute façon se contenter de compter… Des véhicules blindés sur roues, des affuts d’artillerie, des chars et de nombreux camions bâchés sans immatriculation transportant des hommes ou des munitions. Il y a une semaine, deux camions de télécommunication se sont installés dans le nord de Donetsk avec deux installations de radars mobiles.
Il faut vraiment, comme une partie de l’extrême gauche, toute l’extrême droite et une frange de l’UMP, être obsédé par la CIA, les Etats Unis, l’Otan et l’Union européenne ou l’idée d’un « complot mondial contre le Russie » , pour ne pas tenir compte des rapports des observateurs de l’OSCE et des photos satellites pour ne pas « voir » l’implication du gouvernement de la Fédération de Russie. Lequel ne prévient jamais, les déclarations de l’Association des mères de soldat le rappellent, les militaires russes des endroits où ils vont combattre et contre qui. A eux aussi, les officiers parlent de « manœuvres à balles réelles pour s’entrainer contre une offensive des forces de l’Otan » . En fait, après une période d’observation et de retenue, le Kremlin a décidé il y a quinze jours, de relancer une bataille que semblait perdre les forces séparatistes. Notamment parce qu’elles manquaient de munitions et qu’elles sont affaiblies par les querelles entre différents chef militaires qui pensent plus à se réserver des zones d’influence qu’à combattre l’armée ukrainienne et à assurer leurs pouvoirs sur les civils. Au bout du raisonnement cynique de la Russie, il y a le contrôle de Marioupol et la perspective de « libérer » une bande de territoire pour assurer la jonction avec l’Etat fantôme de Transnistrie protégé par des troupes russes depuis 1991. Un territoire arraché à la Moldavie et dont l’existence n’est reconnue par aucun pays. Pas plus que l’Ossétie du Sud ou l’Abkhazie, provinces géorgiennes, occupées par l’armée russe.

Vladimir Poutine, ne cherche donc plus, ayant prévu l’intervention diplomatique franco-allemande, qu’à gagner du temps pour pouvoir imposer son contrôle sur la plus grande partie de l’Est ukrainien. Chaque kilomètre gagné, repousse un peu plus loin la ligne de démarcation et la zone tampon que les négociations en cours vont sans doute fixer dans quelques jours. Ceci sans moindre préoccupation pour le sort des populations civiles. Lesquelles sont évidemment, comme dans toutes guerres actuelles, les premières victimes des combats qui amènent les uns et les autres à se tirer dessus et de loin sans vraiment se soucier des endroits où tombent les obus et les bombes. D’autant plus que les affrontements, à Donetsk, Marioupol et ailleurs, se déroulent la plupart du temps dans des zones urbanisées. Pour les civils, quels que soient leur choix ou leurs préférences, la situation est aggravée par les exactions des bandes armées incontrôlés par le « Président de la République de Donetsk » ; des groupes qui se livrent à toutes formes de racket et de pillage dans des enclaves pourtant économiquement exsangues. D’où des pénuries de plus en plus grandes, y compris pour l’alimentation de base en une saison hivernale qui ne permet pas la moindre récolte. La situation d’insécurité est telle que la plupart des paysans ne pourront pas semer quand viendra le printemps. Et cultiver son jardin pour sa propre subsistance est de plus en plus dangereux alors que les conserves des habitants des zones rurales ou périurbaines sont sur le point de s’épuiser. Et les renforts militaires russes ne sont jamais accompagnés par des camions de ravitaillement.

Comme à l’Ouest, l’Ukraine court actuellement à la faillite, tout le pays s’apprête à vivre des mois d’enfer à cause de la guerre. Ce qui ne peut que satisfaire une Russie qui a rapidement réussi à faire de la Crimée un pays de pénuries où la minorité Tatare est l’objet d’une répression de plus en plus féroce qui s’appuie sur des discriminations raciales. Mais, comme le pays de Poutine resserre en permanence son contrôle sur les médias, le nationalisme qu’il a créé avec sa guerre expansionniste, aveugle une grande partie de la population applaudissant à sa « croisade » .

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