Grèce : le plan B à l’irlandaise

Après le « non » massif aux plans d’austérité, lors du référendum grec du 5 juillet, le pays est plus que jamais sous l’étau allemand. Reste un plan B déjà utilisé par l’Irlande, celui de créer de la monnaie.

Thierry Brun  • 6 juillet 2015
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Illustration - Grèce : le plan B à l'irlandaise


Comment sortir de l’ornière dans laquelle le gouvernement de la chancelière Allemande Angela Merkel est en train de pousser la Grèce ? La question se pose depuis que les dirigeants conservateurs et sociaux-démocrates allemands n’en finissent pas de rejeter les propositions du gouvernement grec, qui, le 22 juin, contenaient pourtant des concessions allant dans le sens de l’austérité souhaitée par les créanciers.

Après la victoire du « non » des Grecs au référendum du 5 juillet, synonyme de rejet des programmes catastrophiques imposés par les créanciers, les dirigeants allemands ont envoyé un message d’absolue fermeté en direction d’Athènes, le porte-parole d’Angela Merkel estimant que les conditions pour négocier une nouvelle aide pour la Grèce n’étaient pas réunies. Symptomatique de cette ligne dure, les déclarations du vice-chancelier allemand, Sigmar Gabriel, ministre de l’Économie et président du parti social-démocrate. Selon lui, Alexis Tsipras a « coupé les derniers ponts » avec l’Europe, après « le refus des règles du jeu de la zone euro » .

Autre point sur lequel l’Allemagne n’est aucunement disposée à discuter, la restructuration de la dette grecque, une requête figurant depuis plusieurs mois dans les propositions grecques remises aux créanciers, est incontournable. En multipliant les dénis, Berlin porte ainsi un coup sévère aux espoirs de trouver rapidement une solution dans de nouvelles négociations pour renflouer la Grèce au bord de l’asphyxie financière.

Étranglement financier

Seule la Banque centrale européenne assure la survie financière du pays en soutenant à bout de bras ses banques complètement à sec en maintenant les financements d’urgence accordés aux banques du pays (Emergency liquidity assistance, ELA). Mais jusqu’à quand ? Le gouverneur de la banque centrale allemande, Jens Weidmann, juge que le soutien apporté à la Grèce est à la limite du mandat de l’institution, et souhaite qu’il prenne fin.

Techniquement, l’institution pourrait décider de couper le robinet financier à la Grèce, même si cela semble peu probable. Cela plongerait encore plus Athènes dans l’abysse financière, après le défaut de la Grèce, qui n’a pas versé les 1,5 milliard d’euros qu’elle devait le 30 juin au FMI. Ainsi, plus le temps passe, plus les dirigeants européens se donnent les moyens d’exclure la Grèce de la zone euro en utilisant la méthode très risquée de l’étranglement financier.

Le précédent irlandais

A court d’argent, les Grecs pourraient prendre exemple sur l’Irlande qui en 2010 a mis discrètement en place un plan B que se gardent bien d’évoquer les dirigeants européens et la Banque centrale européenne (BCE).

Il s’agit d’un « plan qui refuse à la fois la sortie de l’euro et l’austérité avec l’ultimatum des créanciers » , prévient Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic. Cette voie étroite existe et pourrait être un moyen de préparer une restructuration de la dette publique selon les recommandations du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette grecque. Le pays pourrait en effet imprimer des reconnaissances de dette (les « IOU » en anglais, pour « I Owe You »), comme l’a fait l’Irlande, le bon élève de la classe européenne.

Pour faire face à la crise de liquidités, la Grèce pourrait « émettre des bons de paiement ou IOU, une monnaie complémentaire dont la valeur serait garantie par les recettes fiscales. Elle permettrait de relancer l’économie, de payer les salaires et les retraites et de reconstruire les services publics. Sa convertibilité au pair avec l’euro étant garantie, un tel dispositif s’apparente en fait à un prêt à court terme que les citoyens accordent à leur gouvernement. Il ne s’agit pas dans ce cas d’une sortie de la Grèce de la zone euro suivie d’une dévaluation de la nouvelle monnaie. Dans la situation de la Grèce, il s’agirait autant d’un geste politique qu’économique » , détaille Pierre Khalfa.

L’Irlande, aujourd’hui érigé en modèle par les dirigeants européens alors que sa dette publique a dépassé les 123 % du PIB (plus de 215 milliards d’euros en 2014), en a fait un usage immodéré quand le pays était au bord de la catastrophe financière en 2010. Incapable de se financer sur les marchés financiers pour renflouer ses banques moribondes, le tigre celtique était plombé par une dette publique et une déficit vertigineux. Le gouvernement irlandais a pourtant octroyé une aide d’urgence de 31 milliards d’euros sous la forme de billets à ordre ( promissory notes ), indique un rapport d’information sénatorial de la commission des affaires européennes intitulé: « Le réveil du Tigre celtique ? L’Irlande et les pays de la zone euro sous assistance financière » , et publié en juillet 2014.

Un chapitre du rapport rédigé par un sénateur de droite, intitulé : « La question de la dette bancaire enfin réglée ? » , explique que « cette somme devait permettre [aux banques proches de la faillite] de se refinancer auprès de la Banque centrale d’Irlande (CBI) et donc auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Ces billets à ordre constituaient en l’espèce une reconnaissance de dettes signée par l’État irlandais : d’ici à 2031, le gouvernement irlandais s’engageait à rembourser, chaque année au 31 mars, 3,1 milliards d’euros aux deux banques, puis une fois fusionnées à l’IRBC [^2]. Cette somme représente 2 % du PIB. Les billets à ordre étaient utilisés comme “collatéraux” par l’IRBC auprès de la CBI qui, en échange, lui fournissait des liquidités d’urgence (ELA). 16 milliards d’euros d’actifs de l’IRBC ont également été versés pour garantir les liquidités d’urgence qui s’élèvent in fine à 40 milliards d’euros » .

IOU contre BCE et Merkel

« La soutenabilité supposée de la dette irlandaise s’explique en partie par un tour de passe-passe dont on s’étonne qu’il n’ait pas davantage contrarié la Banque centrale européenne » , constate le journaliste du Monde diplomatique Renaud Lambert [^3].

Unilatérale, l’opération est pourtant réputée illégale au sein de la zone euro, mais elle est expliquée dans plusieurs dépêches de l’Agence France Presse, dont une, datée du 6 juillet, consacrée aux seuls IOU, sans évoquer le précédent irlandais.

« Il s’agit ni plus ni moins d’une promesse écrite de paiement, d’une reconnaissance de dette émise par un débiteur qui, pour une raison ou une autre, n’a pas d’argent liquide. l’État grec peut se retrouver dans cette position si la Banque centrale européenne cesse de fournir des euros au pays, et une fois que les coffres des banques seront vides » , explique la dépêche intitulée : « A sec d’euros, la Grèce pourrait émettre des
« IOU » », reprise par de nombreux sites d’informations sur Internet.

Lire > La Grèce sur la corde raide

On peut lire à la fin de cette dépêche que dans un billet internet qui pourrait presque sembler prémonitoire, Yanis Varoufakis, désormais ex-ministre des Finances, imaginait en février 2014, bien avant d’arriver au gouvernement, une sorte de « monnaie parallèle » pour les États de la zone euro.

Il expliquait les mécanismes permettant de créer une devise qui serait une « source de liquidité indépendante du marché » , administrée « par les usagers » , « n’impliquant pas les banques et (existant) en dehors de toutes les restrictions imposées par Bruxelles » et Berlin.

Le président allemand et social-démocrate du Parlement européen, Martin Schulz, répétait dimanche l’avertissement : si les Grecs votent non, « ils devront introduire une autre monnaie, puisqu’ils n’auront plus d’euros à disposition comme moyen de paiement » . Ce chantage à l’euro de Martin Schultz pourrait être évité avec le plan B à l’irlandaise.

[^2]: La banque Irish Bank Resolution Corporation (IBRC) a été créée en juillet 2011 afin de fusionner l’Anglo Irish Bank (AIB) et l’Irish Nationwide Building Society (INBS)

[^3]: « L’Irlande s’inventait des euros, la BCE fermait les yeux… », Monde diplomatique, mai 2015

Crédit photo : KAY NIETFELD / DPA / dpa Picture-Alliance/AFP
Temps de lecture : 7 minutes
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