La discipline : ma grande question l’année dernière…

Lana*, professeur d’anglais de 25 ans, relate sa première rentrée en tant que titulaire dans un collège de REP + en Seine-Saint-Denis.

Lana  • 3 septembre 2016
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La discipline : ma grande question l’année dernière…
Photo: MEHDI FEDOUACH / AFP

Vendredi 2 septembre.

Une des nouveautés de cette rentrée, avec la réforme du collège, ce sont les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). Bizarrement, on n’en a pas parlé du tout lors de la pré-rentrée. En juin, quand j’ai reçu mon affectation, j’étais allée au collège notamment pour participer à une réunion sur les EPI. C’était la toute fin du mois. Les élèves étaient tous partis en vacances. Il n’y avait plus que des enseignants dans l’établissement. Cette réunion était normalement obligatoire mais une partie des profs n’étaient pas venus. Protestation contre la réforme ? Manque d’intérêt ? Cette réunion reprenait tous les thèmes qu’ils avaient déjà préparés, les équipes qu’ils avaient montées, etc. Beaucoup de choses intéressantes étaient déjà presque en place. Mais on a appris ce jour-là que ce travail préparatoire était subitement annulé « pour des problèmes d’organisation »… Je me suis dit que c’est peut-être ça qui avait découragé les enseignants de venir. Ils avaient dû avoir vent de cette annulation.

Pour moi, qui ai des sixièmes et des quatrièmes, c’est un peu compliqué d’anticiper les EPI. Seuls les 3ème ont une épreuve d’EPI au brevet. Et il n’y a pas grand-chose dans les programmes concernant des EPI avec les langues. Alors qu’en fait, on peut mettre de l’anglais partout. Moi j’avais été vaguement affectée à un thème dont personne ne voulait trop et qui me tentait peu autour de la machine à vapeur. Je préférerais quelque chose qui croiserait histoire, histoire des arts, ou arts plastiques avec l’anglais. Autour de l’évolution de la mode, par exemple. Ils avaient un projet couture l’année dernière dans ce collège. On pourrait monter une exposition ensuite… On pourrait aussi imaginer quelque chose autour de la musique, sur l’histoire du mouvement punk par exemple. Cela permettrait de travailler avec les profs d’histoires, d’arts plastiques, et d’allemand…

En Angleterre l’école de sciences et l’école d’arts sont reliées. En France, on fonctionne par catégories éloignées : les scientifiques, les littéraires, les économistes, etc. Moi, j’aime bien l’idée de la transversalité. Et, pour les élèves, je pense que les croisements peuvent aider ceux qui ont des difficultés dans une matière. Ils sont alors portés par les autres matières et appréhendent celle qui les freine par un autre biais. Le travail en équipe ne m’angoisse pas, au contraire. Sauf, quand même, la crainte de ne pas être à la hauteur des attentes des autres enseignants.

Nous n’avons pas parlé des heures d’aide personnalisée (AP) non plus. Elles concerneraient en priorité les profs principaux. C’est de la pédagogie différenciée, une expression pour dire : « Toi, tu as du mal, je vais t’aider plus », et « toi, tu es bon, donc je vais t’aider à aller plus loin ». Il s’agit de tirer les élèves par le haut. En ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation), en cours de didactique, on nous a donné des pistes pour établir cette pédagogie différenciée. Mais c’était très théorique. Pour la préparation du Capes, on avait une épreuve orale où on nous remettait des productions d’élèves à partir desquelles il fallait établir un programme de travail différencié : « Untel a fait des fautes de grammaires, pourquoi, comment ? » « Untel n’en a pas fait, comment l’aider à aller plus loin en améliorant son accent, par exemple ? » L’idée, c’est de s’adapter aux capacités et limites de chacun. Mais comment faire en classe entière ? En REP, les effectifs sont limités à 25 mais, même ? Et puis, pour moi, c’est de la méthodologie l’AP, et on en fait forcément en cours, par conséquent je ne vois pas bien en quoi ça consiste…

On a peu entendu parler de pédagogies alternatives en ESPE. J’ai un ami très engagé là-dedans. Il croit à une pédagogie vraiment différente où c’est l’enfant qui va lui-même chercher ce qui l’intéresse et où l’enseignant sert de guide. On ne devrait pas être aussi stricte sur la façon de faire.

Moi, j’étais inscrite à un cours qui s’intitulait : « Enseigner en REP. » Ils nous ont beaucoup parlé de la « pédagogie de projets ». Avec le recul, je me dis qu’ils nous préparaient pour les EPI. En didactique, on avait une prof super qui travaillait dans un collège sensible du 18ème à Paris et savait comment les élèves pouvaient réagir. Elle était très bienveillante. Des cours « en situation » étaient prévus mais donnés par un profs d’EPS et on était tous mélangés : profs d’élémentaire, de collège et de lycée ! Ce ne sont pourtant pas les mêmes réponses à apporter : on ne va pas dire à un lycéen d’aller au coin quand même ! Ce cours n’a pas servi à grand-chose.

En didactique, on apprenait comment appliquer telle activité en classe. De là découlaient des questions d’élèves. Notre prof nous conseillait d’essayer de faire comme ci ou comme ça. Personne ne nous a jamais dit qu’il y avait une technique pour la discipline. J’aurais bien aimé qu’il y en ait une. J’ai fait mon mémoire de master 2 sur l’autorité et la discipline, ma grosse question de l’année dernière ! J’ai été très chahutée comme stagiaire, surtout par une classe de 3ème difficile que j’avais en plus de 16h à 17h dont le vendredi soir. Ils n’étaient plus réceptifs du tout. Ils n’ont jamais été agressifs ni insultants. Sauf un nouveau, en 5ème, arrivé en janvier. Il était en famille d’accueil, et avait plein de problèmes par ailleurs. Il m’a insultée, cela ne m’a pas chamboulée plus que ça. Il m’a ensuite écrit une lettre d’excuse sur le conseil des surveillants. En fait, il ne se passait rien de grave dans ma classe. Sinon qu’ils bavardaient, n’écoutaient pas. Ne travaillaient pas assez. Je garde un souvenir amer d’une fois où ma tutrice est venue. J’ai proposé une activité qui devait durer un quart d’heure. Cela a pris l’heure entière. C’était pourtant des questions simples. Mais ils n’avaient rien compris. On entendait les mouches voler, personne ne participait. Je m’agitais toute seule. C’était affreux…

On m’avait beaucoup rabâché qu’il fallait insister sur la différence entre élèves et profs. Je ne l’ai peut-être pas assez faite sentir. J’étais moi-même élève à mi-temps à l’ESPE. Avec ma tutrice je me sentais observée et jugée en permanence. Sans compter l’inspection. C’était très stressant. On devait jongler entre le collège et l’école, alors le mémoire, c’était en trop. Je l’ai tellement détesté que je n’en ai même pas gardé une copie pour moi. J’ai beaucoup lu pour l’écrire, mais ça ne m’a laissé que peu de traces. J’aurais aimé avoir à l’écrire après quelques années d’enseignement.

Il faut que je tire parti de mes erreurs… Que je sente que l’espace est le mien… Que dans la classe, ce soit moi le patron… Que j’aie confiance en moi… Ces 3ème m’ont testée, ils ont vu que je ne tenais pas. Je voulais tellement leur faire plaisir qu’ils en ont profité. Le vendredi soir, ils me disaient : « Mais madame on est fatigués ! » Je répondais : « Je sais, moi aussi ! »

Ce qui m’a aidée : un collègue prof d’histoire dans ce collège. J’adore l’histoire et j’adorais assister à ses cours. J’ai beaucoup appris en observant sa manière de tenir sa classe. Il n’était pas vraiment sévère mais très ferme et surtout, il ne laissait rien passer. Dès qu’un élève bavardait, se dispersait, ou coupait la parole à un autre, il haussait le ton immédiatement et mettait un gros coup de pression. Cela faisait longtemps qu’il était dans le collège. Il avait une sacrée réputation. Tout le monde savait qu’il ne fallait pas l’embêter. Il exprimait rigueur et constance… Je l’admirais.

Moi, j’ai beaucoup laissé faire. Et quand j’ai compris ça, je n’ai pas pu changer d’attitude du jour au lendemain. Maintenant, ça n’était pas si catastrophique. C’est surtout que les élèves ne travaillaient pas assez. Pour cette rentrée, je dois trouver le bon ton dès le début. Une fois, l’année dernière, j’ai haussé le ton très au-dessus de ce que j’aurais voulu. Cela m’a surprise ! Du coup, j’ai fini ma phrase en pouffant à moitié. J’ai du me tourner vers le tableau pour ne pas que les élèves me voient rigoler…

Lire épisode 3 >> Comment être devant les élèves le premier jour ?

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