30-05-18, Tournus-Chalon-sur-Saône

Viviane, 25 ans, suit la Marche solidaire pour les migrants de Vintimille à Londres, organisée par l’Auberge des migrants. Au jour le jour, elle retrace son périple sur ce blog, illustré par des photographies du collectif Item.

Viviane  • 31 mai 2018
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30-05-18, Tournus-Chalon-sur-Saône
24 mai 2018, étape Vienne-Lyon. Les Lyonnais rejoignent le cortège de marcheurs.es à l'épicerie solidaire de Saint-Fons et rejoignent le parc des berges de Gerland..
© Philippe Somnolet / item

L'auteure : Viviane J'ai 25 ans, je suis originaire de Bretagne, j'ai fait des études de psycho. J'ai fait six mois de bénévolat à Calais puis j'ai été intégrée dans l'organisation de la Marche des migrants. Je ne sais pas où je serai dans six mois mais mon prochain projet est un voyage humanitaire au Togo. Mon père est vidéaste. Il m'a prêté sa caméra pour que je documente ce que je vis avec les marcheurs, mais je préfère écrire... Les photographes Le Collectif item est une structure de production indépendante qui se donne le temps et les moyens nécessaires pour construire de véritables sujets, pensés comme des récits photographiques à part entière. Il rassemble aujourd’hui 12 photographes, un graphiste et une vidéaste, autour de l’impérieuse nécessité de raconter le monde, pour ne pas rester les yeux fermés. Leurs travaux peuvent être vus sur leur site ici.
Toute la journée, j’ai traîné avec moi une méchante lassitude. Mais je ne comprends pas, c’est un truc de fou cette marche, on ne vit pas ça tous les jours. Et pourtant, je souffre tout de même d’une certaine routine. Je me traite de gamine pourrie gâtée qui n’est jamais contente mais ce n’est pas pour rien que je ressent ça. J’essaie de comprendre. Et Julia qui me dit que c’est normal d’être fatiguée de tout ça. Les rencontres et émotions qui arrivent normalement en une semaine sont condensées en une journée ici. Et la fin de journée c’est l’équivalent de la fête du vendredi soir dans les villes étapes. Je suis tellement dans la marche que je ne m’en rends plus compte. C’est ça la routine : quand on ne se rend plus compte.

À notre accueil de ce soir sur Chalon-sur-Saône, une dame s’assoit à côté de moi. Elle commence à me poser les questions de base : depuis combien de temps je marche, d’où est ce que je viens, etc. La forte fatigue des vingtaines de kilomètres dans les pattes me font répondre d’une façon plutôt antisociale. Voilà qu’elle me demande comment je juge l’accueil dans les villes. Je lui réponds franchement que c’est super cool et chaleureux mais qu’en ce moment j’en suis lasse et que tout me semble redondant. J’ai rajouté que ce soir je me suis tout de même réjouie de cette nouveauté : les interventions spontanées et émouvantes des marcheurs au micro. Je pars me chercher une assiette de quiches et en retournant à ma place, je comprends qu’elle est l’une des organisatrices de l’accueil de ce soir. Gloups ! Embarrassée de la façon dont j’ai dit les choses juste avant, je me fais discrète tout en écoutant sa discussion avec ses autres voisins de table.

Elle raconte que le collectif qui nous accueille à pour but de combler les lacunes et de connecter les différentes assos présentes sur la ville. Elle dit qu’il est voué à disparaître lorsque les connexions seront faites, et que ce serait même bon signe. Comme à Mâcon, elle affirme qu’un collectif peut être tout aussi puissant qu’une asso en termes de force d’action. Il n’y a pas de problèmes de guerres de pouvoir comme il peut y en avoir dans les assos, mais ne pas exister juridiquement amène d’autres soucis comme devoir trouver une salle ou récolter des fonds. Le collectif facilite le fait que chacun apporte ses compétences et connaissances diverses vers un but donné, comme ce soir pour notre accueil. Elle annonce qu’elle a proposé la projection d’un film sur les Chibanis. Elle s’est dit que ce film pourrait plus nous apporter que de réentendre la énième présentation des assos sur place qui sont souvent présentes sur les villes que nous avons déjà traversées. Ouf ! Sentiment de malaise disparu-curiosité activée.

Les Chibanis ce sont des migrants des années 60-70 venant d’Algérie. Ils sont partis pour plus ou moins les même raisons que les migrants que je connais à Calais : fuir les menaces de mort, privation de liberté par l’État, etc. Dans le film, ils expliquent entre autre qu’ils ne sont ni considérés comme français par les Français ni comme algériens par les Algériens. Ils sont déracinés. Ce film nous montre la post-migration en faisant un bond dans l’histoire. Nous sommes allés plus loin. Suite à la projection, une femme née en France d’origine algérienne déclare qu’elle ne connaît pas ce que ses parents ont vécu ni l’Algérie d’antan. Cela lui pose un problème lorsque ses filles lui posent des questions sur sa famille. C’est drôle parce que ce matin même un nouveau marcheur m’a demandé si je me sentais plutôt allemande ou française. Mes parents sont allemands mais je suis née et j’ai grandi en France. Je me suis sentie proche de cette femme car nous portons toutes les deux le déracinement de nos parents sans l’avoir vécu. Elle ajoute à son témoignage que ça ne la rend pas « moins d’origine algérienne » que de ne pas bien connaître l’Algérie. Même chose pour moi. Le soir dans la voiture, mon hébergeuse me dit qu’elle est aussi une sorte de déracinée mais à plus petite échelle et par choix. Elle vient du Nord-Pas-de-Calais. La question du jour : C’est quoi être Français ?

Une phrase qui m’a marquée d’un Chibani : « C’est comme si on me demandait de choisir entre ma mère et la mère de mes enfants. Ma mère c’est l’Algérie, la mère de mes enfants c’est la France. »

© Politis
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Temps de lecture : 4 minutes
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