Brésil : coup d’État institutionnel en guise de destitution

Au Brésil, l’oligarchie est parvenue à destituer la présidente en exercice, Dilma Rousseff, par un coup d’État institutionnel et placer son vice-président, le très réactionnaire Michel Temer, au pouvoir sans passer par les urnes. Devenu le président par intérim le plus impopulaire de l’histoire du Brésil, le temps est alors venu d’oublier ces désagréments et faire parler les urnes… pour légitimer l’illégitime : l’ascension progressive depuis 2015 d’un régime autoritaire accompagné d’une résurgence du rôle politique des militaires suite à un coup d’État parlementaire.

Jérôme Duval  • 3 décembre 2018
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Brésil : coup d’État institutionnel en guise de destitution
photo : DOUG PATRÍCIO / BRAZIL PHOTO PRESS

Pour bien comprendre le contexte dans lequel se déroule l’élection d’octobre 2018 qui porte le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, à la présidence de la République pour le Parti social-libéral (PSL), un retour en arrière s’impose.

Procédure de destitution illégitime et coup d’État parlementaire

Une procédure de destitution (« impeachment ») controversée, portée par le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha (Parti du mouvement démocratique brésilien, Partido do Movimento Democrático Brasileiro – PMDB, centre) est déclenchée le 2 décembre 2015 à l’encontre de la présidente en exercice Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, Partido dos Trabalhadores – PT, centre-gauche), démocratiquement élue en 2010 et réélue en 2014 avec 51,64 % des voix au second tour du scrutin. Cette procédure de destitution intervient quelques heures seulement après que les parlementaires du PT aient voté pour la poursuite de l’enquête sur Eduardo Cunha au Conseil d’éthique de la chambre des députés. L’architecte de la destitution de Dilma Rousseff, évangélique, ultraconservateur et adversaire acharné de l’avortement, est alors soupçonné pour son rôle dans l’affaire Petrobras et des comptes secrets en Suisse, alimentés par des pots-de-vin, où il aurait dissimulé plus de 5 millions de dollars, dont lui et sa seconde épouse Claudia Cruz se sont révélés être les bénéficiaires. La Cour suprême finira par le suspendre de ses fonctions et, le 12 septembre 2016, une majorité écrasante des parlementaires le déclarera inéligible jusqu’en janvier 2027.

Malgré cela, la procédure contre Dilma Rousseff se poursuit, et le 17 avril 2016, suite à une session marathon de près de 43 heures dans un climat de haine, les députés se prononcent sur la destitution de la présidente. Jair Bolsonaro entame alors un court discours dans lequel il remercie chaleureusement Eduardo Cunha « pour la façon dont il a mené les travaux [menant à la destitution] » et rend hommage à l’un des pires responsables de la répression politique sous la dictature : « Pour la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, l’épouvante de Dilma Rousseff, pour l’armée de Caxias, pour les forces armées, pour le Brésil au-dessus de tout et pour Dieu au-dessus de tout, je vote oui ». Son oui à la destitution de la présidente, dédié au tortionnaire responsable de la torture qu’a endurée Dilma Rousseff, claque dans l’enceinte de la chambre telle une déclaration de guerre susceptible de faire ressurgir les démons du passé et scandalise l’opinion brésilienne et internationale. De septembre 1970 à janvier 1974, sous le commandement du colonel Ustra, un des personnages les plus craints de la dictature militaire, près de 500 personnes ont été torturées dans le principal organe de la répression de l’armée à Sao Paulo, le centre DOI-CODI, par où est passé Dilma Rousseff elle-même. Plus de cinquante autres sont portées disparues ou ont été assassinées, selon la Commission nationale de la vérité (Comissão Nacional da Verdade – CNV).

Ce jour là, plus des deux tiers des députés se prononcent pour la destitution, ouvrant la voie à la poursuite de la procédure. Finalement, au terme d’un vote au Sénat le 31 août 2016, Dilma Rousseff est officiellement destituée. Les politiques corrompus, une justice réactionnaire, le grand patronat brésilien et les médias des hautes familles de l’oligarchie, ont réussit la prouesse d’installer Michel Temer (PMDB) au pouvoir sans passer par les urnes. Précision de taille, la destitution de Dilma Rousseff ne s’est pas faite pour corruption mais sous prétexte d’irrégularités comptables, les fameux « coups de pédale fiscaux » (pedalada fiscal), un délit fréquemment mis en pratique par les prédécesseurs de Mme Rousseff et par de nombreux gouverneurs d’État, et dont la gravité n’est pas assez élevée pour justifier une destitution présidentielle. Dilma Rousseff n’est alors impliquée dans aucun scandale de corruption.

A contrario, les parlementaires putschistes (députés et sénateurs), à commencer par les membres du PMDB de Temer, sont eux, massivement empêtrés dans les affaires de corruption. Plusieurs ministres du président par intérim sont eux aussi touchés par les scandales et quittent le gouvernement. Onze jours seulement après être entré en fonction, le ministre de la Planification, Romero Juca (PMDB), est limogé le 23 mai 2016 après s’être prononcé pour étouffer l’enquête sur le scandale Petrobras, dans lequel il est lui-même mis en cause ; Fabiano Silveira, le ministre de la Transparence, poste nouvellement créé pour lutter contre la corruption (!), démissionne le 30 mai 2016 ; le ministre du Tourisme, Henrique Eduardo Alves (PMDB), soupçonné de corruption, démissionne le 16 juin 2016. Puis, c’est finalement au tour du secrétaire du gouvernement, Geddel Vieira Lima (PMDB), d’être accusé de trafic d’influences dans le cadre d’un projet immobilier, il démissionne le 25 novembre 2016. José Serra (PSDB) qui a subit deux défaites électorales au second tour, d’abord contre Lula en 2002, puis contre Dilma Rousseff en 2010, est nommé ministre des Affaires étrangères le 12 mai 2016. Formellement accusé par la justice brésilienne de corruption, c’est pour raisons de santé qu’il démissionne du gouvernement Temer le 22 février 2017. Au total, le gouvernement par intérim est remanié à six reprises.

Et Michel Temer, parachuté au sommet de l’État au terme de l’opération de destitution ? Un personnage mafieux qui croule sous les accusations de malversations, souvent étayées par des enregistrements accablants, qui fait l’objet de deux enquêtes du parquet pour corruption et association de malfaiteurs. En dépit de cette situation incompatible avec son poste, il bénéficie d’une immunité jusqu’à la fin de son mandat, courant jusqu’au 1er janvier 2019, et ne peut être condamné. Et pour s’en assurer il ordonne le versement de pots-de-vin au président du Parlement qui avait lancé la procédure de destitution, Eduardo Cunha, pour acheter son silence.

Difficile de résumer toute la littérature sur l’opération Lava Jato (« Lavage express », ou scandale Petrobras) en quelques lignes, mais pour qui s’y intéresse, on notera que le PT est loin d’être le seul parti touché par la corruption. Celle-ci a toujours gangrené l’histoire politique brésilienne, mais elle est soudainement mise en exergue comme jamais auparavant par les grands médias et l’opposition après avoir été dénoncée par la gauche lors du mouvement populaire « passe libre » contre l’augmentation des prix dans les transports publics en 2013. L’opposition à Dilma Rousseff s’en est servie comme arme pour légitimer la procédure de destitution. Paradoxalement, les responsables politiques qui pointent du doigt, avec un acharnement spectaculaire, le PT, sont eux-même souvent englués dans les affaires de malversations… L’exemple flagrant étant l’architecte de la destitution de Dilma Rousseff, Eduardo Cunha, qui purge désormais une peine de quinze ans et quatre mois de prison pour corruption, blanchiment d’argent et évasion illégale de devises.

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