Documentaires : secouer les chaînes

Des réalisateurs et des producteurs ont créé le Réseau des organisations du documentaire (ROD) pour défendre la place
et le statut des œuvres diffusées par la télévision publique.

Ingrid Merckx  • 15 février 2007 abonné·es

Pas de quartier pour la télé ? Les réalisateurs et les producteurs de documentaires étaient plutôt remontés le 5 février, lors de la conférence de presse annonçant, au théâtre du Rond-Point à Paris, la création du Réseau des organisations du documentaire (ROD). S’ils aiment la télévision, elle le leur rend mal : « Il n’y a jamais eu autant de programmes appelés documentaires sur les chaînes publiques ­ et bénéficiant, à ce titre, de ses mécanismes de financement ­, alors qu’ils relèvent de plus en plus souvent du divertissement ou du journalisme » , dénonce ce réseau, qui entend « assurer la pérennité et l’essor du documentaire sur les chaînes de télévisions publiques ». Il rassemble ­ c’est une première ! ­ des collectifs de réalisateurs et de producteurs [^2]
autour d’un combat commun lié à la définition de l’oeuvre. Qu’est-ce qu’une oeuvre audiovisuelle ? Qu’est-ce qu’un documentaire de création ? La terminologie est importante, ne serait-ce que parce qu’elle détermine le mode de financement. Le fonds qui soutient cette microéconomie n’est pas extensible. Il faut partager. Mais avec qui ?

Des programmes comme « En terre inconnue », sur France 2, qui envoie des stars dans des contrées lointaines ­ Muriel Robin en Namibie ou Patrick Timsit en Indonésie ­, sont classés documentaires. Ce que conteste le ROD. « Si le tissu du documentaire a progressé à la télévision, une vraie menace pèse sur la diversité et sur le statut de l’oeuvre » , a martelé le producteur Serge Lalou. Pour Frank Eskenazi, réalisateur, « le documentaire est en danger en raison du manque de pluralité dans les propositions, les formes, les contenus, les approches et les programmations. Nous vivons une véritable contrainte du sujet. Face à un film, les chaînes ne demandent pas : « Quel est son projet ? Son regard ? Quel espoir porte-t-il ? » Mais : « De quoi va-t-il parler ? » En espérant rencontrer le public le plus large possible. L’espace se réduit à des questions sociales (l’hôpital, le divorce, la famille, etc.). Le monde a disparu des préoccupations. »

Autre problème : rares sont les situations où les producteurs et les réalisateurs déposent leurs projets aux chaînes. C’est plutôt l’inverse qui est de mise : « On n’est plus dans une télé de l’offre mais de la demande » , a résumé Pierre-Oscar Lévy, secrétaire général de la Société des réalisateurs de films (SRF). Avec les risques que cela implique : « On doit parfois accepter l’inacceptable : des changements de musique, de format, de titre… Des décisions attentatoires au statut de l’auteur. Ce n’est pas nouveau, mais la situation se dégrade… »

Le champ des possibles se réduit. Il n’est pas question d’être « nostalgique d’un prétendu âge d’or du documentaire », a précisé Serge Lalou. Mais vigilant face aux dérives. La tendance du docu-télé ? « Commémoratif, journalistique et hexagonal , a résumé ce producteur. Ce qui engage notre responsabilité. Les Français regardent le petit écran 3 h 20 par jour. Il serait temps de se demander ce qu’est la télévision publique en France aujourd’hui. »

Est-ce la télévision publique qui définit le documentaire ou le documentaire qui définit la télévision publique ? Le ROD compte faire entendre la parole des réalisateurs et des producteurs, et entamer un dialogue critique avec France Télévisions et Arte. « Pourquoi pas les chaînes privées ? » , a demandé quelqu’un. Trop tard pour cette année : elles auraient déjà bouclé leurs contrats d’objectifs. Et puis le ROD a choisi, dans un premier temps, d’attaquer la montagne par ce versant.

« Avec un discours offensif », a souligné Abraham Segal, le coprésident de l’Association des cinéastes documentaristes (Addoc). La période électorale devant permettre au ROD de capter l’attention des politiques et de « peser sur la définition du rôle des chaînes publiques » . Excepté une élue Verte, Corinne Rufet, qui a embrayé sur le même ton, et un journaliste de télévision, membre du PC, favorable, entre autres, à une augmentation de la redevance, les politiques n’étaient pas nombreux à cette conférence.

Autre défi pour le ROD : faire respecter aux chaînes, privées comprises, leurs engagements en matière de programmation de documentaires. La productrice Sophie Goupil s’est insurgée : « Le débat est pris en otage par les diffuseurs ! » Pour Serge Lalou, « les diffuseurs n’ont pas une conscience aiguë de ce qui se passe ». Le soir de la naissance du ROD, qui les concerne au premier chef, les diffuseurs n’étaient pas là. Ou sinon, silencieux.

[^2]: L’Association des cinéastes documentaristes (Addoc), le collectif des réalisateurs « Électrons libres », la Société des réalisateurs de films (SRF), le Club du 7 octobre (C7) et l’Union syndicale de la production audiovisuelle (Uspa).

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