Les Verts, retour vers l’autonomie

Le Conseil national des Verts vient de rompre avec une décennie d’alliance privilégiée avec les socialistes, en refusant leur proposition d’accord pour les législatives.

Patrick Piro  • 17 mai 2007 abonné·es

Les Verts ont peut-être franchi leur Rubicon, dimanche 13 mai, lors de leur dernier conseil national (Cnir) : ils ont rejeté par une large majorité [^2] l’ultime offre des socialistes pour les législatives de juin ­ 14 circonscriptions réservées ­, tout en affirmant, pour la première fois depuis la naissance de la gauche plurielle en 1996, que les socialistes « ne seront plus leurs partenaires privilégiés dans les temps qui viennent » .

Illustration - Les Verts, retour vers l'autonomie


Discussion entre un militant des Verts et un supporter de François Bayrou, peu avant le premier tour. AFP/Jean-Philippe Ksiasek

Les négociations Verts-PS pour le scrutin de juin étaient dans l’ornière depuis que les socialistes avaient décidé, début février, de les reporter à l’entre-deux tours de la présidentielle. Cécile Duflot, secrétaire nationale du parti écologiste, avait alors qualifié de « bornée et fuyante » leur attitude de refus de l’accord haut de gamme souhaité par la direction écologiste, c’est-à-dire « programmatique et électoral » . À l’époque, les Verts voulaient 35 circonscriptions réservées, visant la création d’un groupe à l’Assemblée nationale (à partir de 20 députés). Le PS s’en tenait à 20 circonscriptions, dont 15 gagnables, et seulement en cas de victoire de Ségolène Royal à la présidentielle. Après la défaite du 6 mai, l’offre des socialistes s’est restreinte à 14 places réservées, ne laissant entrevoir aux écologistes, dans le meilleur des cas, que 5 à 6 élus. Avec ce refus, les Verts, qui entendent présenter des candidats dans les 577 circonscriptions, ne peuvent guère espérer qu’un maximum de 4 élus dans celles où le PS s’est engagé à ne pas présenter de candidat contre eux : leurs trois députés actuels ­ Martine Billard (Paris Ier), Yves Cochet (Paris XIVe) et Noël Mamère (Gironde) ­, ainsi que François de Rugy (maire adjoint de Nantes) en Loire-Atlantique.

Dans la décision des Verts, il y a, selon Cécile Duflot, une « goutte qui a fait déborder le vase » : le refus socialiste de réserver au porte-parole Yann Werhling la circonscription de Strasbourg, et surtout celle de Roubaix à Slimane Tir, pour proposer à un autre écologiste celle de Tourcoing, ingagnable, et au prix du retrait de la socialiste Najat Azmi.* « Bilan de l’opération : deux candidats issus de l’immigration à la trappe, dont une femme ! », s’insurge le parlementaire vert Alain Lipietz. Il fait cependant partie, avec Dominique Voynet, Yves Cochet et Noël Mamère, des pragmatiques qui considèrent que, pour mauvais qu’il soit, l’accord proposé par les socialistes ne pouvait guère être plus avantageux étant donné leur situation politique.

Mais le différend n’est pas simplement comptable. Dans une sorte de « perdu pour perdu », et à moindre frais pour ce scrutin largement incertain pour la gauche, la décision des Verts apparaît comme la conclusion du ras-le-bol d’être considérés comme une éternelle force d’appoint par des socialistes sempiternellement «~hégémoniques~». En reprenant leur liberté d’alliance, les Verts prennent acte des offres politiques ouvertes avec les tentatives de recompositions qui s’ébauchent de la gauche au centre droit. Cécile Duflot dément que cette « évolution radicale de la stratégie » signe la fin d’une décennie d’ancrage à gauche des écologistes, « toujours antiproductivistes et antilibéraux, mais désormais attentifs à ce qui se passera en dehors du champ classique de leurs alliances ». S’agit-il de préparer le terrain à une recomposition de l’écologie politique, que la grande majorité des Verts ­ méthode Coué ­ affirme irremplaçable ? Ou bien du retour déguisé du « ni droite-ni gauche » prôné par le leader vert Antoine Waechter jusqu’en 1993, comme le redoute Noël Mamère ? « On risque de donner des ailes à ceux qui veulent rejoindre le PS ou bien le Mouvement démocrate de François Bayrou [^3] *, ce qui laisserait un parti vert squelettique. »*

Derrière une apparence assumée, la rupture verte soulève plus de questions qu’elle ne dessine de perspectives, et aucun écologiste ne se risque à ce jour à pronostiquer d’orientation pour le parti avant le second tour des législatives. Le projet de lancer dès la mi-juin des « assises régionales de l’écologie politique » a d’ailleurs été prudemment ajourné ­ trop précoce. Le score aux législatives des Verts, de la gauche, mais aussi de François Bayrou, pèsera lourd dans la balance. « On est tous dans le flou le plus complet , concède Martine Billard. J’ai, pour ma part, beaucoup d’incertitudes sur l’avenir des Verts. »

[^2]: À 78 %, mais seuls 70 délégués sur 120 étaient présents.

[^3]: Ce que vient de faire l’ex-secrétaire national des Verts, Jean-Luc Bennahmias.

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