Sophie sort de sa cage

Le nouvel enregistrement de la saxophoniste Sophie Alour révèle une musicienne audacieuse, éperonnée par des instrumentistes de talent.

Denis Constant-Martin  • 28 juin 2007 abonné·es

Considérée depuis plusieurs années comme l’un des « espoirs » du saxophone français, Sophie Alour signe avec Uncaged , titre sans ambiguïté, un manifeste de la maturité. Elle y confirme son talent mais surtout s’y affirme, à 32 ans, comme musicienne à part entière : compositrice, organisatrice de sons et responsable d’un petit ensemble particulièrement brillant (Laurent Coq, piano ; Yoni Zelnick, basse ; Karl Januska, batterie ; et Sébastien Martel, guitare, sur quatre plages).

Remarquée naguère pour sa délicatesse et la douceur un peu éthérée de sa sonorité, Sophie Alour n’a rien perdu de sa fluidité mais a élargi sa palette en travaillant plus profondément la matière sonore. Nourrie de jazz, en partie autodidacte, en partie formée dans des écoles telles que le CIM ou l’IACP, elle a éprouvé le besoin de tendre l’oreille vers d’autres univers, le rock surtout. Radiohead la fascine pour la richesse de ses textures, les rythmes solides la stimulent et les techniques électro-acoustiques lui permettent de dépasser les cadres dans lesquels elle jouait jusqu’alors, de trouver une issue à un ardent besoin de changement. Ces outils enrichissent son travail de composition en lui fournissant les moyens de multiplier les climats pour tricoter toujours davantage l’improvisation dans l’écriture.

Ouvert sur un moment saturé, presque « métal », Uncaged évolue vers un lyrisme dans lequel la tendresse retrouve ses droits. Le ténor de Sophie Alour opère constamment un tuilage de sonorités, se mouvant entre le diaphane chaleureux et l’éraillé granuleux : elle chante et gronde, elle joue dans le souffle et pousse l’instrument vers des exacerbations coltraniennes. Le disque fait ainsi se succéder des moments de douceur et des temps d’énergie brute, que relie une riche imagination rythmique.

C’est que ce quartette, s’il est bien dirigé par Sophie Alour, est un ensemble composé de fortes personnalités. Formé en 2006, alors que la saxophoniste était en résidence pour trois mois à La Fontaine, à Paris, il la porte vers les au-delà dont elle rêve, la conduit au bout de ses transhumances et de ses transgressions. Le pianiste Laurent Coq, un des trentenaires créatifs qui naviguent désormais entre la France et les États-Unis, y joue un rôle insigne comme pilote des rythmiques dont il fait déceler les dynamismes et les inattendus en multipliant les sonorités aux claviers électroniques ou au piano acoustique. Le guitariste Sébastien Martel, rockeur, ajoute à l’occasion des embrasements fulgurants.

Ayant ainsi indiqué non seulement où elle veut aller, mais aussi qu’elle peut y aller, Sophie Alour ne renonce pas pour autant aux formes d’expressions plus classiques, qu’elle a peaufinées auprès, notamment, des frères Belmondo ou d’Aldo Romano ; elle jouera donc cet été avec le quartette signataire de Uncaged mais aussi dans le groupe féminin de l’excellente organiste Rhoda Scott. Dans l’un et l’autre cas, Sophie Alour mérite un détour.

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