Une réalité têtue

Denis Sieffert  • 14 juin 2007 abonné·es

Il est doux parfois de chercher le réconfort dans l’histoire. Après tout, ce ne sera pas, dimanche, le premier désastre électoral de la gauche. Elle en a connu, des naufrages ! Elle en a traversé, des déserts ! Elle s’en remet généralement plus vite que prévu. La victoire de 1997 a suivi la bérézina de 1993. Six ans après l’élection de la « peur », celle de juin 1968, le candidat socialiste était au coude à coude avec son rival de droite. Et, puisqu’on nous promet une nouvelle « Chambre bleu horizon », souvenons-nous de la première du genre, la plus fameuse, celle de 1919. Cinq ans plus tard, le Cartel des gauches l’emportait. Il y a dans ces retournements des raisons évidemment politiques. Mais les causes sont aussi à rechercher dans une mécanique institutionnelle injuste que nos Républiques entretiennent avec constance. Ainsi, la Chambre de 1919 comptait 368 députés de droite contre 195 de gauche, mais les livres nous rapportent que trois cent mille voix seulement séparaient les deux blocs. Autrement dit, pas plus qu’aujourd’hui la représentation nationale n’était à l’image du peuple. Les renversements de tendances sont d’autant plus prévisibles que les écarts apparents ne rendent pas compte des rapports de forces réels. Et l’effet déformant risque d’être plus important encore cette fois, puisqu’il est question de 400 députés à la botte de M. Sarkozy contre une centaine pour les socialistes, pour un rapport de forces droite-gauche qui en pourcentage avoisine les 50-40. Ce qui fera une bien belle Assemblée godillot !

Le plus inquiétant n’est donc pas en soi le score. C’est le vide sidéral des idées qui accable le parti socialiste, et la division qui mine cette gauche que l’on nomme de « transformation sociale ». Ce qui fait que cette victoire de la droite n’est pas ordinaire, ce ne sont pas les chiffres, c’est son caractère avant tout idéologique et culturelle. La droite a reconstitué un corps de doctrine. La gauche socialiste, elle, ne sait plus quoi penser. On ne saurait trop lui conseiller d’oublier un temps les appâts du pouvoir, les élections, les médias, et d’essayer de se retrouver une âme. Que ce soit au centre, avec MM. Bayrou, Strauss-Kahn et Mme Royal ­ ça ferait de la place à gauche ! ­, ou un peu plus à gauche, si d’aventure quelque socialiste audacieux était encore capable d’aller contre l’air du temps. Mais l’injustice du système n’est pas sans effets. Outre qu’elle nous trompe sur l’ampleur de la défaite, elle peut aussi transférer le débat sur le terrain social. À bien des égards, ces élections sont en trompe-l’oeil. Des commentateurs s’étaient empressés de célébrer le triomphe de la démocratie avec la participation record de la présidentielle. Ils doivent déchanter aujourd’hui avec l’abstention non moins record de 40 %. Ce désintérêt reflète plus fidèlement l’état d’esprit d’un grand nombre de nos concitoyens qui se sentent orphelins de toute représentation politique. Songez qu’à la proportionnelle l’UMP ne dépasserait pas les 260 députés (au lieu de 400). Et le PS en aurait 160 (au lieu de 100). Mais, surtout, le PCF en aurait une petite trentaine, les Verts presque 20, et l’extrême gauche 20. Ces chiffres ne relèvent pas tout à fait de la fiction. Ils n’ont certes rien à voir avec le fromage faisandé que nous découvrirons dimanche soir sur nos écrans de télévision. Mais ils procèdent bel et bien du nombre réel de suffrages.

Le système est ainsi fait : une présidentielle au suffrage universel qui plébiscite une personnalité plus qu’un programme, encourage le marketing plus que la politique ; puis des législatives qui anéantissent les minorités. Mais, ce double tour de passe-passe institutionnel ne change rien à la réalité sociologique du pays. Une réalité têtue. On se goberge dans les colloques de crise de représentation politique, puis on l’organise, cette crise, dans ce qui s’apparente de plus en plus à un simulacre de démocratie. Si quarante pour cent des électeurs ne sont pas allés voter dimanche, c’est parce qu’ils savent que leur voix ne sert à rien ; qu’elle ne sera littéralement pas prise en compte dans ce mode de scrutin, que les idées qui sont les leurs seront méprisées. Ce serait cependant illusion et folie de croire que ces gens ont « disparu ». Ils reparaîtront d’une façon ou d’une autre. Dans la rue, dans les manifestations, ou sous d’autres formes politiques qu’une gauche nouvelle, peut-être, saura leur offrir. L’un d’ailleurs n’étant pas exclusif de l’autre. Le profil de la droite et de son chef, les plans très « lutte de classes » qui figurent sur son agenda, alliés à ce déni de démocratie, ne laissent pas forcément augurer des lendemains de tout repos.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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