Europe : quelle reconquête ?

Député Vert européen, Alain Lipietz analyse le traité européen ébauché fin juin à Bruxelles. Prochain axe de bataille, alors que l’Union passe sous présidence portugaise : récupérer les avancées du TCE rejeté par la France.

Alain Lipietz  • 12 juillet 2007
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Le plan B est enfin trouvé ! Il se présente comme un plan « A- », entre l’existant (Maastricht-Nice) et le TCE. Le Sommet de juin 2007 a en effet donné mandat à une Conférence intergouvernementale (CIG) d’écrire un « traité de réforme » amendant les traités actuels. Il reprendra beaucoup des dispositions présentées aux citoyens européens sous le nom de « Traité établissant une constitution pour l’Europe ». Ce TCE avait été largement adopté par le Parlement européen, ratifié par dix-huit pays et rejeté par deux : la France et les Pays-Bas. Le nouveau traité doit être rédigé puis signé en Conseil européen d’ici à la fin 2007, sous présidence portugaise. Nicolas Sarkozy a réussi à faire croire qu’il est le père de ce plan. En réalité, partant d’une vision très « mini » du traité, il a dû fortement composer avec le groupe des vingt pays « amis de la Constitution », soutenu par la Confédération européenne des syndicats (CES). Le compromis est en fait né de la plume de la présidente allemande, Angela Merkel [^2].
Au vu des instructions déjà précises données par le Sommet, qui gagne quoi et qui perd quoi par rapport au TCE ? D’abord, les articles inchangés entre Maastricht-Nice et le TCE demeurent encore inchangés. Toutefois, le TCE contenait de multiples améliorations par rapport à l’existant, et il faudra se battre pour que la CIG les conserve toutes… ou en apporte d’autres !

Ce que la gauche du « oui » et les écologistes ont récupéré

Sur le fond : essentiellement la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux, élevée à la valeur d’un traité, sauf pour la Grande-Bretagne. Les écologistes n’ont obtenu qu’une référence à la lutte contre le changement climatique.
Sur la démocratie : potentiellement, la totalité des avancées du TCE. Doublement du champ du vote en codécision entre le Parlement et le Conseil, extension de la compétence du Parlement à l’ensemble des dépenses (y compris l’agriculture), droit d’initiative législative citoyenne.
Mais il faudra être très vigilant pour conserver les assouplissements apportés par le TCE aux règles de réforme des traités (règle des 4/5e, droit d’initiative constitutionnelle pour le Parlement), comme sur la sortie de l’armée européenne de l’Otan, et sur les droits des femmes, car le mandat est assez flou sur ces points. Ainsi, la criminalisation du proxénétisme (art. 271) semble dorénavant soumise au droit de veto d’un pays.

Ce que les souverainistes ont gagné

La Grande-Bretagne a obtenu de ne pas être concernée par la Charte des droits fondamentaux ! De même, elle échappe à une partie du champ d’extension de la codécision avec le Parlement.
La Pologne obtient la référence à l’« héritage religieux » (et non « spirituel ») de l’Europe. D’autre part, si la pondération finale des votes en Conseil reste celle prévue par le TCE, cette mesure ne s’appliquera pleinement qu’en 2017 (2009 dans le TCE).
Le vote souverainiste de la Pologne, de la Grande-Bretagne, de la Tchéquie, des Pays-Bas et d’une partie des citoyens français se voit accorder de nombreuses concessions symboliques. Disparaissent : les mots Constitution et loi, le drapeau et l’hymne européen. Ce qui est proposé est un nouveau traité international strictement incompréhensible pour un non-spécialiste. Le fameux article 6 (« Les lois européennes l’emportent sur les lois nationales ») est supprimé.
C’est dommage, mais assez cosmétique. Les traités réformés fixeront la manière dont se votent les lois (« directives ») : ces « métarègles » forment bien une constitution, comme Maastricht et Nice. Et, dans les villages andins les plus reculés, les délégations arborant le drapeau à douze étoiles seront toujours accueillis par les enfants des écoles sur les notes de « l’Hymne à la joie ». Quant à l’article 6, il ne faisait qu’exprimer une jurisprudence partout admise.

Ce que la gauche a perdu

Fondamentalement, les services publics. Certes, les actuels articles 16 (« la valeur que l’Europe y attache ») et 86 (ils sont soumis aux lois de la concurrence « dans la mesure où ces dispositions ne les empêchent ni en droit ni en fait d’accomplir leur mission ») sont conservés. Un protocole mentionnera « la grande marge de manœuvre des autorités nationales, régionales et locales ». Mais il supprime les acquis de l’article 122 : que les services publics marchands (Sieg) devaient se voir garantir les conditions « notamment financières » d’accomplir leur mission, qu’une loi-cadre fixerait ces conditions, que les États auraient la responsabilité « de les fournir et de les financer ». Cette phrase est reprise… mais ne concerne plus que les SIG, les services non-marchands (police, etc.). Encore heureux !
Autrement dit, ce qui était dans le TCE une obligation de financer les services publics est rétrogradé au rang de « liberté » de les fournir… ou pas. Il est significatif que ce protocole soit introduit par les gouvernements libéraux français et hollandais. Naturellement, la droite va continuer à faire passer des directives violant cette liberté. Exemple : avec la directive postale.

Cas douteux : la concurrence « libre et non faussée »

Angela Merkel a proposé un compromis sur l’article 3 du TCE énonçant les objectifs de l’Union (plein emploi, développement soutenable, égalité hommes-femmes…). Sur la concurrence, voici : dans Maastricht-Nice, il est écrit : « L’Union européenne offre un marché intérieur où la concurrence est libre et ouverte. » Dans le TCE, le mot « ouverte » était remplacé par « non faussée ». Dans le compromis Merkel, nous avons : « L’Union européenne offre un marché intérieur. » Point.
Voici donc la victoire offerte par Sarkozy aux nonistes de gauche : le droit à la concurrence faussée ! C’est exactement ce que demandent les libéraux au Parlement européen : que la non-harmonisation fiscale d’un pays à l’autre soit reconnue comme une forme légitime de « concurrence fiscale ». En attendant que les différences de salaires soient considérées comme une forme légitime de « concurrence sociale », et ainsi de suite.

Pour quoi peut-on encore se battre ?

Les nonistes de gauche français, de Fabius à Bové, ont été inexistants depuis leur « victoire » de 2005. Ce qui est sauvé le sera sans eux, ce qui sera perdu à Porto le sera-t-il malgré eux ? Vont-ils reprendre le combat cet été pour récupérer l’article 122 et toutes les avancées du TCE ? S’ils veulent revenir comme force de proposition, il leur faudra renoncer à se disputer dans leur coin sur une Europe idéale, et poser des objectifs précis de reconquêtes sociales, démocratiques ou écologistes, dans le débat de la CIG de Porto.
Ce ne sera pas facile, ni pour les « oui » ni pour les « non » de gauche. Car, sur la forme, le futur traité de Porto apparaîtra comme un labyrinthe, même s’il permet de recommencer à lutter politiquement. Illisible, dépourvu de souffle et de symboles, adopté par les gouvernements, leurs « sherpas » et leurs diplomates, il marque un grave recul démocratique par rapport à la Convention qui rédigea le TCE en interaction avec les partenaires sociaux. L’Europe qui en sortira sera certes un peu plus sociale, nettement plus démocratique, mais elle aura été « octroyée » par des gouvernements à des peuples jugés immatures. Pas très rassurant.

[^2]: Pour plus de détails sur la négociation et le résultat, voir http://lipietz.net/spip.php?article2065.

Publié dans
Tribunes

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