Salaire précaire pour travail précaire

Le revenu de solidarité active fait débat. Initié à gauche par Martin Hirsch et bientôt expérimenté par des élus socialistes, peut-il vraiment combattre la pauvreté ou risque-t-il de nuire aux travailleurs ?

Jean-Baptiste Quiot  • 5 juillet 2007 abonné·es

La justification pour expérimenter le revenu de solidarité active (RSA) est évidente pour le président de l’Agence nationale de solidarité active. « Il répond à une question morale : quelqu’un en difficulté doit-il rester dans l’exclusion ? N’est-il pas préférable qu’il ait un revenu supérieur au seuil de pauvreté et qu’il retrouve une dignité ? » , interroge Benoît Genuini. Imparable. Dès 2006, l’association a été créée par Martin Hirsch, alors président d’Emmaüs-France, pour « tester des dispositifs contre la précarité, dont le RSA » . « Il s’agit de pallier le problème des trappes à inactivité. Quand un RMiste travaille à temps partiel, il perd un certain nombre d’aides et n’augmente pas ses revenus. Ce qui est injuste et n’incite pas à travailler » , poursuit Benoît Genuini. Cependant, si la question est morale, ce que personne ne conteste, la réponse est avant tout d’ordre politique. Et elle pose problème.

Illustration - Salaire précaire pour travail précaire

Martin Hirsch, Haut Commissaire aux solidarités actives
contre la pauverté, et Jean-Louis Destans,
président socialiste du conseil général de l’Eure, département qui va expérimenter le RSA. DR

D’abord, cette question morale a rapproché la gauche et la droite. « Cela fait un an et demi que nous travaillons sur ce projet, qui est un projet de gauche à l’origine. Le président d’Emmaüs a conçu la mesure dans son rapport sur la précarité. L’idée a même été reprise par la candidate Ségolène Royal » , défend Jean-Louis Destans, président socialiste du conseil général de l’Eure, premier département, parmi la quinzaine en lice, à « expérimenter » la mesure depuis le 1er juin. C’est cependant un gouvernement de droite qui veut la rendre effective dans une loi sur les minima sociaux, prévue pour 2008.

La future loi n’est-elle pas en cohérence avec la « flexsécurité » prônée par la droite ? Marc Moreau, un des animateurs d’Agir ensemble contre le chômage et la précarité (AC !), dénonce ce qui « est peut-être une modernisation mais pas une réelle avancée. Pour réduire la pauvreté, il faut augmenter le montant de base des minima sociaux. De plus, il ne faut pas séparer la question des minima de celle du chômage. Le RSA s’inscrit dans une réforme qui augmente la pression et les contrôles sur les chômeurs ». Face à cet argument, Jean-Louis Destans se justifie : « C’est Nicolas Sarkozy qui a repris notre idée. J’ai été surpris de voir Martin Hirsch entrer au gouvernement, mais je crois que le RSA est un bon dispositif , explique-t-il. Toute heure travaillée doit rapporter un revenu complémentaire. À partir de dix heures hebdomadaires de travail, on assure un RSA au moins égal au seuil de pauvreté. Selon le nombre d’heures, on peut ainsi atteindre 1,4 fois le Smic. C’est une avancée concrète : au possible nous sommes tenus. »

Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles… Même la CGT s’est résignée à ne pas voter contre ce qu’elle appelle un « moindre mal » , lors du conseil d’administration de la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf) du 12 juin. « La France est dans un tel état de misère que nous avons estimé que la réforme constituait quand même un plus. D’où notre abstention » , raconte Alain Giacomel, de la CGT. « Mais nous pensons qu’avec le RSA on construit un minimum social au mérite. Non seulement on culpabilise les pauvres, mais en plus on déqualifie le travail. On met en place des petits boulots, des « activités » pour justifier les aides. »

« On glisse vers le voeu de la présidente du Medef d’un salaire précaire pour un travail précaire, complété par un revenu financé par l’État » , suggère Marc Moreau. De son côté, Benoît Guenuini se veut pragmatique : « Il y a de l’idéologie dans ces critiques. Si on expérimente, c’est justement pour voir les impacts et corriger les effets pervers. » « Certes, on expérimente, réagit Marc Moreau, mais il n’y a eu aucune négociation collective. C’est révélateur. On met les choses en place au niveau local puis on les ratifie ensuite par la loi au niveau national. » Il craint également « la fusion des minima sociaux, API [allocation de parent isolé] *, RMI et allocation handicap, contenue dans le RSA, et qui peut entraîner la dévaluation des minima supérieurs au RMI »* .

À l’origine, le coût de la mesure était estimé à 11 milliards. Dans l’avant-projet de loi, il n’est plus que de 3 milliards. Et pour cause, les 7millions de travailleurs pauvres ne sont plus concernés. «Il y aura une grave inégalité entre, d’un côté, les RMistes et, de l’autre, les travailleurs pauvres qui ne bénéficient pas du RMI mais qui sont en dessous du seuil de pauvreté» , explique Bruno Grouès, de l’Uniopss, qui regroupe les associations du secteur socio-sanitaire.

D’origine socialiste ou pas, le projet de Martin Hirsch s’inscrit-il pleinement dans le programme de Nicolas Sarkozy ? L’actuel Haut Commissaire indiquait dans son rapport de 2006 : « Afin d’éviter un accroissement du temps partiel ­ les employeurs se sentant décomplexés puisque l’État assure un complément de revenu ­, les allégements de charge pourraient être conditionnés à une évolution favorable des différents compartiments du marché de l’emploi vers plus d’emplois de qualité. » Or, cette conditionnalité a finalement disparu du projet de loi. Par ailleurs, « faire financer directement le RSA par les entreprises qui ont recours au temps partiel aurait été plus incitatif » , remarque Marc Moreau. Reste à savoir qui l’on veut « inciter » , et à quoi.

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