Élargir la cotisation sociale

Jean-Marie Harribey  • 30 août 2007 abonné·es

Parmi les préoccupations de la rentrée, il y a celle relative au financement de la protection sociale que le gouvernement veut assurer au moyen d’une TVA « sociale » [^2]
pour « lutter contre les délocalisations ». Or, que peuvent 5 points de TVA contre des écarts de coûts qui vont de 1 à 10 ou plus avec les pays à bas salaires ? Quant à l’appel à faire payer notre sécurité sociale par les travailleurs chinois et indiens (Jean Arthuis, le Monde , 11 juillet 2007), il est indécent et incohérent puisqu’il faudrait à ce compte-là délocaliser toutes nos productions et vivre complètement de nos rentes !

Une autre démarche est possible.

Premièrement, les besoins sociaux augmentent et continueront d’augmenter à l’avenir, notamment parce que la population vieillit et que les dégâts d’un développement actuellement insoutenable devront être réparés. Un choix de société s’imposera donc : pour répondre à ces besoins, une part croissante de la richesse devra être socialisée et soustraite à l’exigence de rentabilité. L’impôt et la cotisation devront être réhabilités au lieu d’être déconsidérés, augmentés au lieu d’être réduits.

Deuxièmement, à quel stade effectuer les prélèvements sociaux ? Il n’existe pas de réponse absolue et universelle. Compte tenu de la forte détérioration de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée au cours du dernier quart de siècle (entre 6 et 8 points de PIB en France), il est préférable d’agir au niveau de la répartition primaire des revenus et de rééquilibrer d’urgence le partage entre travail et capital. Une fiscalité très progressive (alors que la CSG est essentiellement déductible du revenu imposable) pourrait accorder une correction supplémentaire. Mais l’inconvénient de la fiscalisation du financement de la protection sociale est de décharger les entreprises de la responsabilité de payer la totalité du salaire (le salaire direct et le salaire socialisé) et, avec la TVA, de renvoyer ce financement sur les consommateurs, qui sont d’autant moins égaux entre eux que la fiscalité est, en France, surtout indirecte. En revanche, l’augmentation progressive des cotisations parallèlement aux besoins sociaux est possible, comme l’ont souligné en 2002 et 2006 les rapports du Conseil d’orientation des retraites.

Troisièmement, comment faut-il augmenter les cotisations ? Si l’on exclut d’augmenter les cotisations dites salariales pour cause de pouvoir d’achat, on a le choix entre augmenter le taux de cotisations patronales sur une assiette inchangée (le salaire brut) ou bien élargir l’assiette des cotisations à l’ensemble de la valeur ajoutée. Comment départager les deux méthodes ? Toute réforme modifiera la structure des coûts des entreprises. Celle-ci provoquera à son tour une modification des prix relatifs, consécutive au déplacement des capitaux à la recherche d’une rémunération optimale. Et c’est l’élargissement de l’assiette des cotisations qui modifie les prix relatifs le plus favorablement pour les entreprises de main-d’oeuvre, au détriment des entreprises les plus capitalistiques, capables de gagner le plus d’argent sur le marché mondial.

Deux reproches sont souvent adressés à l’élargissement de l’assiette. Le premier vient des partisans de l’augmentation du taux de cotisations sur l’assiette actuelle : tout changement d’assiette romprait le lien entre salaire et cotisation. Or, ce lien est maintenu dès lors que, en faisant « cotiser le profit », une part de celui-ci est convertie en salaire. Le second reproche vient des tenants de la TVA « sociale », puisque sa substitution aux cotisations diminue les prix relatifs des entreprises de main-d’oeuvre. Mais cet avantage est contrebalancé par l’aubaine qui est offerte aux détenteurs du capital de ne plus avoir à s’acquitter d’une partie du salaire prise en charge par la collectivité. Certes, au niveau global de l’économie, c’est équivalent puisque tout revenu et tout prélèvement proviennent de la valeur ajoutée et que les prix finals englobent la TVA et/ou les cotisations. Mais, au niveau de chaque ménage, de chaque groupe social, les changements provoqués par l’un ou l’autre système de financement ne sont pas neutres au regard de la répartition et de l’utilisation des revenus.

Pour toutes ces raisons, il est préférable d’assujettir dorénavant les profits à la cotisation sociale, qui serait ainsi « élargie ». Il ne restera plus qu’à supprimer la distinction absurde entre les cotisations dites salariales et celles dites patronales car elle n’a qu’une raison d’être : dissimuler, derrière la rhétorique sur le coût salarial, le fait que toute la valeur ajoutée provient du travail et que c’est lui qui, de toute manière, « paie » tout.

  • Membre du conseil scientifique d’Attac.

[^2]: Pour une approche complémentaire, voir le « Rapport d’Attac France sur la TVA « sociale » », .

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