Le retour du héron

Bernard Langlois  • 13 septembre 2007 abonné·es

Chacun l’aura noté : le Héron cendré est de retour.

Le grand échassier avait pratiquement disparu depuis plusieurs mois, banni de nos contrées par un prédateur redoutable, ce Renard de Hongrie, durablement installé en son terrier au coeur de Paris. L’oiseau au long bec emmanché d’un long cou a-t-il surmonté sa peur ? Toujours est-il qu’il s’est remis à arpenter de ses longs pieds les rives médiatiques de nos ondes transparentes ainsi qu’aux plus beaux jours, où commères carpes et compères brochets font toujours mille tours. A-t-il faim ? Instruit par les leçons du fabuliste, il saura sans doute ne pas laisser passer l’occasion de se nourrir correctement.

Fût-ce d’un repas froid, puisque c’est ainsi, dit-on, que se déguste la vengeance.

Dominique Galouzeau de Villepin a toujours ce brushing argenté qui prend bien la lumière. On l’a retrouvé bronzé, reposé, l’oeil vif et le geste sûr. Et, clairement, l’envie intacte d’en découdre.

Le prétexte de sa réapparition spectaculaire est la sortie d’un nouveau livre consacré, une fois encore, à la geste napoléonienne, sa passion. Mais l’occasion est trop belle, puisqu’il est question de l’Empereur et de sa cour, de dauber sur l’usurpateur, ce petit Tordu qui prétend se vêtir de la redingote du petit Tondu. Lui, un autre Bonaparte ? Vous voulez rire ! Un M. Jourdain plutôt, ce Bourgeois gentilhomme (pièce qu’il faut « lire et relire » ), qui « confond le pouvoir et la gloire » , « se met en scène » attirant vers lui « tous les regards » et qui croit pouvoir ainsi, « entouré de béni-oui-oui, de cire-pompes et de courtisans » , faire « avancer un pays » qui (n’en doutez pas !) se mordra vite les doigts de l’avoir installé sur le trône. J’en rajoute un peu, mais à peine. Villepin cravache, cingle, avec le fouet de l’humour vache. Personne ne s’y trompe : il n’a renoncé à rien et s’installe durablement dans le rôle de l’opposant le plus féroce au sarkozysme triomphant. Paraît que le PS se cherche un leader ? En ces temps où tout est cul par-dessus tête, il pourrait à son tour pratiquer l’ouverture : qui de mieux que Villepin comme chef de l’opposition ?

Encore faut-il que l’ancien Premier ministre, toujours sous la menace de sérieux ennuis judiciaires dans l’affaire du corbeau de Clearstream, parvienne à se dégager du « piège » que, dit-il, on lui a tendu. Il doit, en principe ce jeudi matin, être à nouveau entendu par les juges en charge du dossier.

SARKO LA SCOUMOUNE

Cette rentrée fracassante du rival vaincu donne-t-elle le signal d’une offensive en règle contre un pouvoir jusqu’ici épargné ? En d’autres termes, Sarkozy a-t-il mangé son pain blanc, va-t-on à grande vitesse vers la fin d’un état de grâce qui rendait la critique inaudible ?

Ça se pourrait bien. On sent, à pas mal de petits signes, que la machine ne tourne plus aussi rond, que le moteur tousse un peu, que la présidence bling-bling pourrait bien se déglinguer plus vite que prévu. Symboliquement, la déroute du XV de France contre l’Argentine en ouverture d’une coupe du monde de rugby dont on attendait des merveilles est un rude revers : ce n’est qu’un match perdu, direz-vous. Oui, mais Sarkozy s’est tellement investi dans cette compétition mondiale, a paru si impliqué, concerné, dispensant ses conseils, galvanisant les joueurs, investissant vestiaires et banc de touche, allant jusqu’à nommer le sélectionneur national ministre en gestation ( « un poste se libère » , ironisait-on dans les coulisses du pouvoir après la claque de samedi dernier), que ce fiasco initial, qui pourrait bien valoir à nos joueurs une sortie prématurée de la compétition, passe pour un échec du prince-président en personne.

Sarko la scoumoune ? Déjà qu’on a vécu, outre un été pourri, une vraie déroute en athlétisme…

PERSIFLAGES

Ce changement de climat est perceptible à la lecture d’une presse pourtant peu incline à l’insoumission : les rumeurs de dissensions battent aux marches du Palais, et les chroniqueurs s’en emparent avec délectation, comme soulagés de pouvoir enfin rompre avec une trop longue période de dithyrambes imposés.

C’est à qui soulignera les états d’âme de Fillon, exaspéré par les empiétements répétés d’un Claude Guéant (qui « n’est pas un politique, mais un fonctionnaire » ) sur ses prérogatives ; à qui relatera les mouvements d’humeur du chef de l’État contre tel ou telle de ses ministres (il en aurait au moins quatre dans le collimateur, dont MAM, à l’évidence plus près de la porte que de l’augmentation) ; à qui relèvera les loupés, les faux pas, les gaffes des Excellences, qui ne le seraient pas tant que ça : même la chouchoute, Rachida, à force de se mettre à dos les magistrats, commencerait à inquiéter sérieusement celui qui l’a faite Garde, un poste ­ dit-on ­ peut-être légèrement au-dessus de ses compétences… Au-delà des images de la chouette équipe de copains qui prend le TGV pour Strasbourg (la frime, encore et toujours la frime), un ministre va jusqu’à évoquer « une ambiance de merde » au sein du Conseil, pendant qu’un autre persifle : « Il n’est pas content de ses ministres, il n’est content que de lui-même. » Comme l’écrit Florence Muracciole (qui rapporte, comme d’autres, ces méchants propos de couloir) : « Près de quatre mois ont passé depuis son accession au pouvoir et Nicolas Sarkozy est peut-être en train de se confronter à la réalité d’un pouvoir qu’il a voulu entièrement concentré entre ses mains. » [^2]

Pourquoi « peut-être » ?

L’ESBROUFE

N’y aurait-il que les humeurs et les frottements d’ego que ce ne serait pas trop grave : après tout, aucune entreprise humaine n’y échappe, et c’est monnaie courante aux sommets de l’État, où les bonnes places sont chères. L’hybris de Sarkozy leur donne juste une dimension plus spectaculaire qu’à l’accoutumée.

Mais il y a la réalité d’une situation générale qui ne témoigne pas d’une franche réussite du président bling-bling : que ce soit sur le plan de l’ordre public (dont il est en charge pourtant depuis bien longtemps avant son élection à l’Élysée), où chacun constate que les choses se dégradent, des affrontements entre bandes qui gagnent du terrain en plein Paris à la montée des violences contre les personnes, qu’on masque par des statistiques rassurantes sur la baisse des vols d’autoradio ou de portables ; ou sur le plan économique et social, où la crise financière mondiale s’accentue dans la foulée des errements américains et où la France reste comme engluée dans une croissance molle et un chômage qui ne doit ses frémissements à la baisse qu’au doigté des statisticiens. Encore n’a-t-on pas vraiment abordé les sujets qui fâchent, comme la réforme des régimes spéciaux de retraite ou les négociations sur le contrat de travail unique : rien n’assure que la rentrée soit pour le pouvoir une promenade de santé. Qu’en sera-t-il de ce Grenelle de l’environnement dont on nous vante l’importance et les vertus attendues ? Pathétique, le ministre en charge (mal remis, dit-on, de son éviction de Bercy) en appelait la semaine dernière à « l’union sacrée de tous les Français » [^3] : mais qui peut croire que sa conférence à grand spectacle pourra satisfaire à la fois les partisans des OGM et les faucheurs volontaires, qui réclament un moratoire ; les paysans usagers des engrais et des pesticides, et les défenseurs d’une agriculture saine et non polluante ; les lobbies de l’automobile et les fervents des transports en commun ; etc. Dit autrement, qui croit encore possible, dans cette civilisation industrielle qui ne connaît comme credo que le profit et la croissance exponentielle, de mettre un coup d’arrêt aux maux qui accablent la planète et menacent sa survie [^4] ?

Serait-il sincèrement convaincu de l’importance de sa mission (ce dont je doute) que le ministre de l’Égologie et de l’Ébouriffement durable est, plus encore que tous les autres, condamné à l’esbroufe.

Qui est décidément la marque du sarkozysme.

[^2]: Dans Le Journal du dimanche du 9 septembre.

[^3]: « Aux parents, grands-parents, enseignants, syndicalistes, patrons, ouvriers, étudiants, comédiens, journalistes, à tous d’être des acteurs de ce formidable défi qu’est la préservation de notre planète et le bien-être dans notre pays. » Entretien au Figaro Magazine du 8 septembre (C’est-y pas beau comme l’antique ?).

[^4]: Je renvoie mes lecteurs au blog (tout nouveau) d’un journaliste qu’ils connaissent bien (et apprécient) pour l’avoir longtemps lu dans nos colonnes, Fabrice Nicolino. Aperçu de sa profession de foi : « S’il doit avoir un sens (ce blog), ce sera celui d’écrire librement. De décrire et de dénoncer ce qui se passe. Car il se passe un événement si considérable, tellement inédit, à ce point stupéfiant que la pensée refuse de l’admettre. Ce qui nous arrive peut se résumer, même si aucun esprit n’est capable de le concevoir pleinement : nous sommes les contemporains de l’anéantissement de la vie. De la destruction des conditions de vie de l’humanité. De l’asservissement des autres êtres vivants à notre bon plaisir imbécile. D’une crise d’extinction des espèces comme la planète n’en a pas connu depuis la fin des dinosaures, voici 65 millions d’années. Je n’ai pas l’illusion, ni l’outrecuidance, de savoir quoi faire. Je ne sais pas. Mais je pense, mais je suis convaincu qu’il faut marquer au plus vite une rupture complète avec notre manière de penser la société. Et cela implique de se détacher au plus vite des formes politiques anciennes. Je vise la droite comme la gauche. Et les Verts aussi, évidemment. » (.)

Edito Bernard Langlois
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