« Un budget inefficace pour la croissance »

Pour l’économiste Liêm Hoang-Ngoc, le budget 2008, avec son « choc fiscal » en faveur des hauts revenus, constitue un plan de rigueur pour les autres catégories de la population, et ne peut relancer l’économie.

Jean-Baptiste Quiot  • 11 octobre 2007 abonné·es

Alors que le budget met en place le « paquet fiscal », François Fillon parle de « faillite de l’État » pour le justifier. Cela inaugure-t-il un plan de rigueur ?

Liêm Hoang-Ngoc : Ce budget sera un budget de rigueur pour les uns et de vaches grasses pour les autres, conduisant au final à un creusement des déficits publics. Un budget de rigueur pour les services publics puisque 23 900 postes de fonctionnaires sont supprimés, dont 11~000 dans l’Éducation nationale et 9~000 dans les collèges et lycées. On va retrouver cette rigueur dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale avec l’instauration des franchises médicales. En revanche, les ménages à haut revenu vont bénéficier d’un paquet fiscal de 15 milliards d’euros. Ainsi, 2,2 milliards sont consacrés à l’allégement des droits de donation et de succession~; 3,7 milliards au crédit d’impôt sur les emprunts pour l’achat du logement principal. Le bouclier fiscal à 50 % revient carrément à supprimer l’impôt sur la fortune pour les 235 000 très hauts revenus, qui bénéficieront d’un chèque de 600 millions d’euros. Enfin, la baisse du coût du travail à travers la légalisation du travail sans cotisations au titre de la défiscalisation des heures supplémentaires coûte 6 milliards.

Illustration - « Un budget inefficace pour la croissance »


Éric Woerth, ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique. COEX/AFP

Dans l’idée du gouvernement, ce budget devrait permettre un choc fiscal en faveur de la relance de la croissance et de la réduction de la dette.

Beaucoup, dans la majorité même, doutent de l’efficacité de ce budget. La sortie du Premier ministre sur la « faillite de la France » trahit son doute quant à la capacité du « choc fiscal » à provoquer un effet bénéfique sur la croissance et donc sur la résorption des déficits. Toutes les projections sont d’ailleurs extrêmement pessimistes. Le budget est construit sur une hypothèse de croissance à 2,25 % pour 2008. Mais on sera probablement en dessous de 2 %. Cela signifie que le déficit sera supérieur aux 39 milliards annoncés. La dette bénéficiera doublement aux rentiers créanciers de l’État. Ils profitent une première fois du paquet fiscal et toucheront en bout de course les intérêts d’une dette qui se sera creusée en leur faveur. Il s’agit d’une mauvaise dette, qui fera boule de neige sans financer aucune dépense porteuse d’avenir. L’abondante épargne disponible aurait au contraire pu être mobilisée pour financer des dépenses ayant un effet sur la croissance (santé, éducation, investissement, recherche).

Pourquoi ce budget est-il inefficace du point de vue économique ?

Ce budget n’est pas de nature à allumer les moteurs de la croissance que sont la consommation, l’investissement et le commerce extérieur. Il est à tort présenté comme un budget de «~relance de la demande~». Il mise sur une relance de la consommation des classes à haut revenu. Or, la propension à consommer des très hauts revenus est faible. Quand vous gagnez 20 fois le smic, vous ne dépensez pas intégralement le supplément de revenu offert par le paquet fiscal. Vous en épargnez la plus grande partie. Ce budget va donc gonfler l’épargne qui se porte sur la spéculation immobilière ou sur les achats d’action qui nourrissent la bulle spéculative. C’est comme si on gaspillait 15 milliards d’euros sans effets macroéconomiques. Par ailleurs, aucune mesure n’est de nature à relancer l’investissement, tandis que la consommation des autres catégories de la population risque d’être atteinte par les mesures de rigueur.

Si le budget va encore creuser la dette, pourquoi le gouvernement se sert-il de cette dernière comme prétexte à sa politique ?

Le discours sur la dette est devenu l’alibi des politiques ayant pour objectif de détruire l’État social. L’État n’est nullement en faillite. La dette ne pèse aucunement sur les générations futures. Elle est détenue par la pléthore d’épargnants d’aujourd’hui, particulièrement friands d’obligations d’État, si bien que l’État peut s’endetter à bas taux d’intérêt. Malheureusement, ces ressources financières disponibles ont été gaspillées par les politiques menées au nom de la réduction du poids de l’interventionnisme. À entendre les néoconservateurs, on a l’impression de vivre depuis vingt-cinq ans dans un État socialiste qui dépense sans compter ! Or, au cours de cette période, la part des dépenses publiques est restée stable à 53 % du PIB, et la part des dépenses de l’État a même baissé de 3 points, passant de 25 à 22. Les dépenses de fonctionnement, tant décriées, sont passées de 40 % à 35 % des dépenses de l’État. Les privatisations ont sévi. Le paradoxe est que ces politiques, qui étaient censées réduire le poids de l’État dans l’économie, ont creusé les déficits. En 1993, le taux d’endettement de l’économie représentait 36,5 % du PIB. Dix ans auparavant, lorsque la gauche était accusée d’avoir trop nationalisé, il n’était que de 25 %… Il dépasse aujourd’hui les 64 % ! Le budget 2008 ne fait qu’approfondir une logique qui sévit depuis quinze ans. Par ailleurs, l’Europe entière est engagée dans une stratégie de « désinflation compétitive » généralisée aux effets douteux. Elle est aujourd’hui la zone où la croissance est la plus faible du monde et où la moitié des pays de l’Eurogroupe ne parviennent pas à respecter le pacte de stabilité.

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