Elections en Russie, l’analyse

Claude-Marie Vadrot, tout juste de retour de Moscou et d’Ukraine, commente les résultats des élections législatives russes de dimanche pour Politis.fr.

Claude-Marie Vadrot  et  Politis.fr  • 3 décembre 2007 abonné·es

Pour Vladimir Poutine, le compte est bon et même très bon : avec les 64 % de son parti Russie Unie et les 8 % de Russie Juste, les « Poutiniens de gauche », le président va bénéficier du soutien d’une Douma nationaliste, répressive et régressive à plus de 70 %. Largement, car l’extrême droite national-socialiste de Vladimir Jirinovski (10 %) n’est pas souvent en désaccord avec Poutine et le Parti communiste de Guennadi Ziouganov, avec 12 %, ne demande guère qu’un peu plus de retour à l’URSS. Tout cela nous mène vers les 90 %. Encore un effort, camarades, et les scores brejnéviens seront de retour. Comme en Ingouchie et en Tchétchénie où le miracle du bourrage des urnes et de la propagande ont entraîné des scores de 98 et 99 % en faveur de Russie Unie.

Alors ? Tout le monde derrière Poutine ? Comme j’ai pu le constater il y a quelques jours à Moscou, la situation réelle du pays n’est pas si simple. Bien sûr, il y a d’abord les effets de la propagande et du muselage de la télévision et de l’essentiel de la presse écrite, à Moscou comme en province, puisqu’en raison de la détérioration du système de distribution et de l’indigence des transports, il n’existe plus vraiment de presse « nationale ». Mais il ne faut pas négliger l’importance de la dérive d’une partie de la population choquée par la période de l’ivrogne Eltsine, par la chute de prestige de son pays, par son alignement sur la politique américaine. Dans le même temps, le modèle de consommation américain fascine le plus grand nombre. Les Russes, une majorité des Russes, se sont volontairement donné le tsar dont il rêvait et la disparition de la presse libre a fait le reste : les démocrates ont disparu du paysage électoral, souvent empêchés de se présenter. Mais ils existent encore, ceux que la fin prévisible de la démocratie inquiète.

Mon vieil ami Pieta par exemple, un ami dont je ne donnerai pas le véritable nom pour ne pas lui causer d’ennuis. Prof de math dans une grande université moscovite où il me raconte que les diplômes peuvent facilement s’acheter, vivant dans le sud de Moscou, il n’a plus qu’en seul rêve, partir à l’étranger. Quitter le seul pays industrialisé du monde dont la population et l’espérance de vie des hommes et des femmes diminuent régulièrement depuis 1992. « Samedi, revenant de faire mes courses dans le centre de Moscou, j’ai été ulcéré de voir une dizaine de milliers de « Nachis » arrivés en bus, manifester tranquillement prés de la place Rouge pendant que les opposants se faisaient tabasser deux kilomètres plus loin. Ils hurlaient des slogans favorables à Poutine, traitaient les opposants de « chacals » comme leurs maîtres, et distribuaient des tracts racistes, contre les Caucasiens et contre les Juifs. Ils sont même pires que les anciens Jeune communistes, car ils sont incontrôlables. Ce sont eux qui organisent des ratonnades à la porte de la fac ou dans les couloirs du métro. Hier ils m’ont fait peur, peur pour les années qui viennent. Comment faire pour revenir à la démocratie, pour que notre nouveau tsar ne s’installe pas pour vingt ans ? Va voir la littérature qu’ils vendent : il y a Mein Kampf, le Protocole des Sages de Sion et beaucoup d’autres écrits à vomir. Et ces mômes ne rêvent que de fric tout en condamnant la décadence occidentale. »

Le fric, il saute par exemple à la figure des provinciaux qui viennent encore, le samedi, rendre hommage à Lénine dans son mausolée de la Place rouge. La visite terminée, ils peuvent aller faire un tour au Goum, le grand magasin qui donne sur la place : ils y découvrent, à la place des boutiques d’autrefois, toutes les enseignes de luxe du monde entier : de Lancel à Dior en passant pas Vuitton, Armani et quelques autres, tous vendant leurs marchandises aux prix parisiens dans un monde où les retraités ne touchent pas tous une centaine d’euros par mois et où le salaire moyen tourne autour de 380 euros. Ces boutiques là et bien d’autres font de Moscou l’une des villes les plus chères du monde avec des prix d’appartements qui dépassent 30 000 euros le mètres carrés. Ces provinciaux rêvent et, comme au temps du tsar, ils vous diront, quand on les interroge, que « Vladimir Vladimirovitch n’est certainement pas au courant de ces abus et que la mafia juive est responsable de l’augmentation des prix et de la généralisation du luxe » . Ils ne savent pas que Moscou concentre actuellement près de 80 % de la richesse de ce pays pauvre, pas plus qu’ils ne peuvent savoir, arrivés de leurs provinces aux routes non asphaltées, que la capitale russe offre l’une des concentrations de 4X4 les plus importantes du monde. Avec les indispensables vitres teintées.

Pour Poutine, le rêve deviendra triomphe en 2012 quand, quelle que soit la place politique qu’il se sera réservé, la ville de Sotchi, sur la Mer Noire, accueillera les Jeux olympiques d’hiver. Ces derniers se dérouleront dans les montagnes du Caucase qui s’élèvent au-dessus de la vieille cité balnéaire. Les Occidentaux ont décidé de faire ce cadeau au nouveau Tsar sans que soit posée la question des droits de l’homme, pas plus qu’elle n’avait été posée lors de la décision d’attribuer les Jeux olympiques à Pékin. Et, comme en Chine, les entreprises occidentales se ruent vers cet événement pour lequel s’accumulent déjà les projets pharaoniques. Parmi ceux-ci, une gigantesque île-hôtel achèvera de défigurer cette région où les maîtres communistes du Kremlin avait déjà leur habitudes, région où Jacques Chirac ne se lasse pas d’être invité par son « ami ». Il est en outre question, la rumeur en circule à Moscou, que Nicolas Sarkozy aille bientôt y faire un tour.

Avec ses amis, sa famille et quelques mafias, Boris Eltsine avait réussi le plus beau hold-up du siècle sur les richesses de la Russie. Vladimir Poutine, après avoir redistribué les grandes sociétés à ses amis de l’ex-KGB en même temps que les postes de gouverneurs de régions qui ne sont plus élus, a lui réussi son hold-up sur la démocratie. Les Ukrainiens s’en inquiètent et l’Occident n’aligne que de plates protestations, de peur que Poutine se venge en augmentant le prix du gaz. Dans ce charmant tableau, Sarkozy l’américain ne devrait pas plus fâcher les Russes sur la question des droits de l’homme qu’il ne l’a fait avec les Chinois.

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