Un marché de dupes

Les négociations collectives sur la réforme du marché du travail se font sur les seules propositions du Medef. Une nouvelle méthode pour casser les droits des salariés : la discussion sous la menace.

Jean-Baptiste Quiot  • 20 décembre 2007 abonné·es

Flexsécurité, contrats précaires, allongement de la période d’essai, absence de recours aux prud’hommes et licenciement à l’amiable. Ce sont les principales propositions du Medef aux syndicats de salariés dans la troisième mouture de son avant-projet de réforme du marché du travail pour « libérer le travail et l’économie » . De quoi mettre pas mal de monde dans la rue. Surtout dans la situation actuelle de chômage et de précarité tous azimuts, et alors que 1,4 million de personnes sont en situation de sous-emploi, selon les dernières statistiques de l’Insee.

Illustration - Un marché de dupes

Un ouvrier sur une chaîne de production, à Evital-Clairefontaine. FLORIN/AFP

Mais Nicolas Sarkozy et le Medef n’ont pas oublié l’échec du CPE. C’est donc avec une nouvelle stratégie qu’ils espèrent libéraliser le marché du travail : la négociation sous la menace. Depuis le 7 septembre et à raison d’une rencontre par semaine, les partenaires sociaux négocient la « modernisation » du marché du travail et de l’assurance chômage, avec en vue la conférence sociale du 19 décembre. Pour la CGT, l’objectif du patronat ne fait pas de doute : « obtenir plus de facilités pour licencier et plus de flexibilité des salariés » .

Pour les patrons, avec l’aide des médias, il s’agit de convaincre l’opinion publique. Et d’apparaître comme les chantres du dialogue social et du compromis. « Ce serait beaucoup plus important et beaucoup plus utile pour le pays que la réforme du marché du travail passe par un accord entre partenaires sociaux plutôt que par la loi » , assure la présidente du Medef, Laurence Parisot. Pourtant, la loi est bien prévue pour février 2008 par le gouvernement et elle devrait reprendre l’essentiel des propositions du Medef. Le Premier ministre, François Fillon, a été clair : « Je vous certifie que la réforme du marché du travail sera effectivement lancée au début 2008 avec un projet de loi reprenant le résultat des négociations en cours. » Sur ce résultat, il ne fait d’ailleurs pas de mystère. « En moins d’un an, nous aurons profondément libéré le travail, et avant la fin 2008, nous aurons un vrai système de flexsécurité à la française » , se félicite-t-il.

Le gouvernement et le Medef marchent donc bien de concert. D’un côté, le syndicat patronal se targue d’un esprit d’ouverture et fait des concessions à la marge ; chef de file de la délégation, Cathy Kopp a même estimé avoir fait « une avancée historique » en proposant qu’un salarié puisse conserver certains droits (mutuelle, complémentaire retraite) après la fin de son contrat de travail. De l’autre côté, le gouvernement menace de voter une loi favorable au Medef si la négociation échoue, obligeant ainsi les syndicats à négocier « un pistolet sur la tempe » , pour reprendre les mots prononcés par Nicolas Sarkozy en novembre pour stigmatiser la grève des cheminots.

En tout cas, le projet de réforme a le mérite de clarifier l’adoption en Conseil des ministres du projet de fusion de l’ANPE avec l’assurance chômage (Unedic). Plus que de simplifier le parcours du demandeur d’emploi avec un guichet unique, il s’agit de « renforcer l’accompagnement des demandeurs d’emploi » . Qu’est-ce à dire ? « Contribuer à l’accélération du retour à l’emploi » et surtout « mieux répondre à la satisfaction des besoins des entreprises » . Comment ? En s’inscrivant « dans un cadre de droits et de devoirs réciproques » . Une réciprocité difficile à concevoir dans le cadre de la relation de subordination entre employeurs et employés. Il s’agit davantage, en effet, de renforcer les devoirs de ces derniers, de « requérir une démarche active de recherche d’emploi et que soient clairement définies les modalités de contrôle de l’effectivité de la recherche et la notion d’offre valable d’emploi » .

Le projet vise également à faciliter les licenciements. Et cela de trois manières. Tout d’abord, « comme dans un divorce » , avait indiqué Laurence Parisot, « en privilégiant les solutions amiables à l’occasion des ruptures du contrat de travail » . Comme si le rapport patron-salarié était d’égal à égal. Ensuite, en créant un paradoxal CDI à durée déterminée, c’est-à-dire « un CDI qui doit comporter une clause précisant expressément le projet pour lequel il est conclu et indiquant que sa réalisation constitue un motif valable de rupture du contrat » . Enfin, en doublant la durée de la période d’essai, la portant même jusqu’à douze mois pour les cadres.

Par ailleurs, après la suppression de 63 conseils de prud’hommes dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, le gouvernement et le Medef veulent s’attaquer à l’essence même de cette institution qui protège les droits des travailleurs. Il s’agit de « réhabiliter la conciliation prud’homale en lui restituant son caractère d’origine d’arrangement amiable, global et préalable à l’ouverture de la phase contentieuse proprement dite » . Encore un exemple de l’esprit de conciliation du syndicat patronal. Le projet de réforme présente pourtant peu de contreparties en faveur des salariés. Pour Maryse Dumas (CGT), « le patronat doit arriver avec de nouvelles propositions, sinon il risque de rompre la négociation, ce que je ne veux pas croire » . Mais que risque le patronat puisque la loi sera votée, avec ou sans négociations ?

Une négociation « n’est pas une marche militaire avec l’État qui donne les ordres » , s’est indigné le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly. Non seulement qui donne des ordres, mais qui va encore plus loin que les propositions du Medef. François Fillon a même donné « au conseil d’orientation de l’emploi le soin de débattre de la conditionnalité des allégements de charges » . L’occasion est trop belle de faire passer de nouvelles baisses de charges sous couvert de négociation collective. Mais aucune de ces conditions n’apparaît dans le projet du Medef. Difficile alors de douter de ce que sont réellement ces « négociations sur la réforme du marché du travail » : un marché de dupes.

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