Croire en quelqu’un

Dans « le Premier Venu », Jacques Doillon met en scène une histoire d’amour imprévisible, avec un sens du mouvement qui tient de l’art de la guerre.

Christophe Kantcheff  • 3 avril 2008 abonné·es

Jacques Doillon est un chorégraphe. Ses films sont pleins de paroles et de voix qui se répondent, mais ils seraient muets que le ballet des comédiens, les jeux de proximité et d’éloignement entre les corps y raconteraient des histoires semblables. C’est en tout cas à cet art du mouvement, à cette élégante fluidité de la mise en scène que l’on reconnaît, entre tous, le style du réalisateur de la Drôlesse .

Un art du mouvement qui, chez lui, est le contraire de l’agitation, aisément décriée chez Lelouch, mais qui entrave aussi nombre d’oeuvres surestimées, comme, par exemple, Rois et reine d’Arnaud Desplechin, où les virtuosités de la caméra et du montage finissent par donner le tournis.

Doillon, lui, n’avance pas à l’épate. Sa mise en scène relève de l’art de la guerre. Par l’intermédiaire d’un de ses personnages, il s’agit pour lui de perturber les positions, de troubler les lignes. Il ne sait pas forcément à l’avance qui va gagner, ni même si quelqu’un sortira gagnant (cette guerre-là peut être pacifique), mais une chose est sûre : au terme de l’« affrontement », les personnages seront modifiés, et les relations qu’ils entretiennent auront changé.

Ainsi, dans le Premier Venu , 24e film de Jacques Doillon ­ qui n’avait pas tourné depuis Raja , en 2003 ­, une fille de 20 ans, Camille (Clémentine Beaugrand), suit Costa jusqu’au Crotoy, où il vit, dans la baie de Somme, et qui, comme toutes les stations balnéaires, est un peu désolée hors saison. Costa, semble-t-il, a abusé d’elle à Paris. On comprend qu’il ne s’agit pas d’un viol, mais tout de même. Camille exige de lui des excuses, et en même temps est intriguée, attirée par ce garçon voyou sans le sou, mauvais mari, mauvais père et mauvais fils. Un « bon à rien » interprété par Gérald Thomassin, l’ex- Petit Criminel mis en scène par Jacques Doillon il y a dix-huit ans. Mais Camille ne le perçoit pas forcément ainsi. Elle est peut-être la dernière à croire en lui.

Le troisième personnage du film, Daniel (Guillaume Saurrel), un flic, copain d’enfance de Costa, est là pour mettre Camille en garde contre celui-ci, et pour sortir de son rôle social en étant lui-même très séduit par cette drôle de fille, jolie bien que ne quittant jamais une parka qui atténue sa féminité, la rendant presque androgyne. Une « tenue » qui montre bien que Camille n’est pas une séductrice.

L’argent est un des sujets du Premier Venu . L’argent qui manque (Costa, son père, sa femme), l’argent qu’on vole (Camille, puis Costa), l’argent acquis (un agent immobilier). Mais il est surtout un catalyseur, le point de départ d’un véritable film d’action quand Camille tente à ses risques et périls de remédier à la dèche de Costa. Ce geste est emblématique de ce qu’elle s’est mise à éprouver pour lui : une sorte d’amour désintéressé. Ainsi l’encourage-t-elle à se réconcilier avec sa femme et à retrouver sa fille, parce qu’elle sent que c’est cela dont Costa a profondément besoin. Rien n’est dit de ses motivations, de ce qui dans sa vie à Paris pourrait expliquer pourquoi Camille agit ainsi. La situation, provoquée par elle-même, en suivant Costa au Crotoy, en allant rendre visite ensuite à sa femme, lui permet quoi qu’il en soit de répondre à sa nécessité, qui n’a rien de compassionnel. Le premier venu était le bon.

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