Le prestige de l’équité

La communication sur le commerce équitable est devenue un levier de croissance sur lequel s’est largement appuyé Max Havelaar, explique l’économiste Christian Jacquiau*.

Christian Jacquiau  • 24 avril 2008 abonné·es

Utopies, que le magazine Enjeux-les Échos désigne comme « l’agence pionnière dans le conseil en développement durable » , est de ces officines qui accompagnent les entreprises en les conseillant dans leurs « stratégies de développement durable » . Elle peut se targuer d’un très joli palmarès avec, entre autres, la rédaction des rapports dits de développement durable des groupes Lafarge, Carrefour, Michelin et Castorama. Parmi ses clients, on trouve encore : Aventis, Bouygues, Club Méditerranée, Aéroports de Paris, Peugeot, Pinault-Printemps-Redoute, Accor, L’Oréal, Kraft Foods, Intermarché, etc. On en oublierait « la marque qui veut se faire label » , selon l’expression de l’association de consommateurs UFC-Que choisir, c’est-à-dire le leader du commerce équitable : Max Havelaar, lui aussi client de l’agence Utopies.

Redorer l’image d’une entreprise qui est la cible d’une campagne internationale contre la cruauté envers les animaux, valoriser celle d’un bétonneur planétaire ou d’un colonisateur d’espaces côtiers, améliorer la réputation d’un champion de l’atmosphère « diésélisée », d’un géant de la distribution connu pour la violence de ses relations sociales ou la spoliation de ses franchisés, ferait-il partie de la même démarche ? Militantisme, philanthropie, générosité, altruisme et abnégation seraient-ils devenus des marchandises comme les autres ? « La dimension politique [de Max Havelaar] a été peu à peu édulcorée puis évincée » , regrettait, au seuil de la Quinzaine du commerce équitable 2007, le père Francisco van der Hoff, cofondateur de Max Havelaar, dans les colonnes de Politis [^2]. En réponse à cette légitime critique, Max Havelaar France a décidé de mettre les petits plats dans les grands et de passer à la vitesse supérieure en élevant, pour sa quinzaine équitable 2008, sa communication au niveau du premier étage de la tour Eiffel [^3]. Thème de la très chic soirée du 24 avril : « Un éclairage sur le changement d’échelle dans la consommation responsable », promet sur son bristol d’invitation Max Havelaar, organisateur, avec Utopies, de ce pince-fesses réservé à tout le gotha de la presse parisienne.
Pour convaincre les journalistes, des « animations gastronomiques équitables » ont été confiées au directeur de création de Lenôtre, le traiteur des stars, qui se présente lui-même comme « partenaire des plus belles fêtes parisiennes, organisateur des plus beaux mariages et [de] réceptions prestigieuses qui témoignent dans le monde de l’art de recevoir à la française ». Une soirée certes fort dispendieuse mais dont Max Havelaar pourra mesurer toute l’efficacité au ton lénifiant des articles reprenant à leur compte les communiqués remis à chacun des participants de ce luxueux banquet placé sous le haut patronage des petits producteurs pauvres et, accessoirement, de leurs salariés : travailleurs saisonniers et journaliers, exclus d’équité dans le système Max Havelaar.

Ajoutons qu’au moment même où la fête bat son plein, les « émeutes de la faim » secouent plus de trente-cinq pays comme l’Égypte, la Mauritanie, le Mexique, le Maroc, la Bolivie, le Pakistan, l’Indonésie ou encore la Malaisie, faisant de nombreux morts et blessés parmi les pauvres de ces populations mécréantes qui s’obstinent à ignorer tout le mal que l’on peut se donner pour elles.

[^2]: Entretien de Francisco van der Hoff avec David Leloup, hors-série n° 45 de mai-juin 2007.

[^3]: Voir le hors-série n° 47, mai-juin 2008, p. 17.

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