Un réel espoir…

Denis Sieffert  • 22 mai 2008 abonné·es

À l’Assemblée nationale, l’homme du mois s’appelle André Chassaigne. Élu communiste du Puy-de-Dôme, il a été l’empêcheur de tourner en rond du débat sur les OGM. On lira dans ce journal le passionnant entretien qu’il a accordé à Patrick Piro . Il y retrace son itinéraire politique et intellectuel depuis le « scientiste » qu’il fut jusqu’à l’écolo-communiste qu’il est. « J’ai cheminé, dit-il, je me suis mis à l’écoute et j’ai évolué. » Beaucoup, parmi ceux qui viennent du marxisme, se trouveront des affinités avec André Chassaigne. Nous connaissons aussi le cheminement inverse : l’écologiste environnementaliste acquis peu à peu à l’idée que la destruction de l’écosystème et la crise sociale ont la même origine. Il y a évidemment quelque chose à méditer dans ces rapprochements qui ne supposent aucun reniement. Nous y sommes particulièrement sensibles dans ce journal, né à la croisée des chemins entre l’écologie et le social. Et nous le savons bien, c’est dans le débat et la confrontation que l’on « chemine » ; rarement dans le repli. Vous voyez où je veux en venir. Si l’appel publié ici même la semaine dernière a reçu un accueil enthousiaste (nous approchons les quatre mille signatures en cinq jours, et pourtant Politis n’est pas l’ Asahi Shinbun ) [^2], c’est que nous sommes sans doute beaucoup plus nombreux encore à sentir qu’il manque quelque chose dans le paysage politique.

Mais quoi ? Eh bien précisément, cela fait partie de la discussion. Dans un périmètre certes défini : contre les « tendances au renoncement social-libéral » et « la menace du bipartisme » , comme le dit clairement l’appel, il faut créer. Mais, avouons-le humblement : nous ne savons pas répondre, nous ne voulons pas répondre à toutes les questions. Où voulez-vous en venir ? Comment tout cela va-t-il finir ? Précisément, nous ne confondons pas le point de départ et le terme d’un processus qui passe par la confrontation des idées. C’est évidemment le reproche principal que nous adresse la LCR, avec d’ailleurs une louable modération. Bien entendu, comme il est dit dans le courrier d’Anne Leclerc et Pierre-François Grond, notre appel n’évoque ni le Smic ni les retraites… C’est qu’il n’est pas un programme politique. Tout juste l’offre d’un espace permanent pour débattre des sujets que soulève, entre autres, la LCR. Voilà pourquoi notre démarche ne s’oppose absolument pas au Nouveau Parti anticapitaliste. Pas plus qu’il interdit au PCF de recruter, aux Verts de gauche de se réunir, aux Alternatifs de se renforcer, au mouvement associatif de se développer… Nous ne fondons pas un parti concurrent. Mais il est vrai que notre ambition va au-delà du simple débat. Ce n’est pas un colloque que nous proposons, mais un cadre qui s’inscrit dans la durée. Un cadre de débats et d’action, car comment pourrait-on prolonger une telle réflexion sur les issues politiques dans l’indifférence aux mouvements sociaux qui se multiplient ?

Le climat dans lequel les signatures ont été recueillies est à cet égard édifiant. Bien sûr, il y a Internet. Simplissime <www.appel-a-gauche.org>. Mais il y a aussi ces premières signatures réunies jeudi dernier, dans le long cortège de la manifestation des enseignants. Celles-ci ont pour nous un sens particulier. Non seulement parce qu’elles étaient assorties la plupart du temps de quelques mots aimables. Mais aussi parce qu’elles venaient comme en prolongement du mouvement. Presque comme une partie de lui-même. « Quelles perspectives offrir à la colère sociale ? » , questionnait l’appel. Eh bien, déjà celle-ci : surmonter le plus terrible des obstacles, le scepticisme. Rendre le doute fécond. D’abord résister, puis imaginer. Par exemple, une société qui revaloriserait son école et tiendrait ses enseignants au sommet de la hiérarchie sociale. Une société qui ne s’abîmerait pas dans des comptes d’apothicaires quand il s’agit d’encadrement scolaire, d’enfants en difficulté, et qui n’aurait pas le mépris de ses services publics. Entre toutes les mobilisations actuelles, celle des profs contre la suppression massive de postes a valeur de symbole. Parce qu’il ne s’agit pas seulement ici de revendications ; c’est société contre société.

Un mot encore sur la qualité des signataires. Il y a beaucoup de neuf. L’œil avisé reconnaîtra quelques intellectuels qui ne galvaudent pas leur signature (Robert Castel, Michel Surya, Jacques Testart, Jérôme Vidal, notamment, nous ont rejoints) ainsi que des « politiques » qui prennent des libertés avec leur port d’attache. Implicitement, ceux-là nous confortent dans notre conviction qui renvoie à cette fameuse dialectique de l’ancien et du nouveau. Il n’est pas question d’insulter les partis politiques. C’est avec eux que l’on refera quelque chose. Mais sans doute dans le dépassement des formes anciennes. Tout est ouvert. C’est avec nous que la LCR et d’autres, encore réticents, doivent poser les « questions qui fâchent ». Sinon ce ne sont plus des questions mais des réponses que l’on impose à tous. En attendant, nous souhaitons que les amis de Politis s’emparent de ce débat dans les régions. La semaine prochaine, nous consacrerons une large place aux réactions de nos lecteurs… et des autres.

[^2]: Quotidien japonais qui tire à dix millions d’exemplaires.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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