« Une course au moins-disant salarial »

Le gouvernement annonce un projet de loi durcissant les conditions
de l’indemnisation du chômage. L’économiste Pierre Concialdi* dénonce le caractère idéologique du traitement de cette question.

Thierry Brun  • 15 mai 2008 abonné·es

Le gouvernement a révélé ses intentions après la conférence tripartite du 6 mai sur l’assurance chômage. Une loi réformant l’indemnisation du chômage (voir article ci-contre), prévue avant l’été, accumulera les sanctions envers les chômeurs. Cette logique est-elle fondée ?

Pierre Concialdi : Le gouvernement martèle le chiffre de 500 000 offres d’emploi « non satisfaites » pour faire croire qu’il existe des chômeurs qui ne « veulent pas travailler » . Ce chiffre n’a aucune base statistique sérieuse. Et, surtout, il traduit simplement le fait qu’il faut un certain délai (environ un mois) pour qu’une offre soit satisfaite, ce qui explique qu’il y ait en permanence un volume d’offres disponibles (300 000 aujourd’hui). On peut essayer de raccourcir ce délai, et ce stock diminuera, mais cela ne créera pas davantage d’emplois. Les comparaisons internationales montrent par ailleurs que le taux d’emplois non pourvus est, en France, un des plus faibles des pays de l’OCDE.

Illustration - « Une course au moins-disant salarial »


Des salariés de l’ANPE manifestent le 29 mars 2007. Guez/AFP

Cette manipulation grossière des chiffres révèle le caractère idéologique du projet gouvernemental. Car l’idée que le chômage serait la conséquence d’un comportement volontaire de la part des chômeurs n’a aucun fondement. Une récente étude vient de montrer que la France figure parmi les pays où les prestations sociales sont les plus incitatives à l’emploi [^2]. Et toutes les enquêtes montrent que la préoccupation prioritaire des chômeurs est de retrouver un emploi. Enfin, plus de la moitié des demandeurs d’emploi ne sont pas couverts par l’assurance-chômage, et parmi ceux qui sont indemnisés, plus de 40 % travaillent chaque mois. Bref, la figure du chômeur volontaire relève du fantasme.
Faute de combattre le chômage, on fait la chasse aux chômeurs. Ce n’est pas nouveau. En 1992, Michel Charasse parlait des « faux chômeurs » , et en 1995 Alain Juppé avait lancé la chasse aux fraudeurs de prestations. Il est inexact de dire que les chômeurs ne sont pas sanctionnés aujourd’hui. La pression qu’ils subissent s’est au contraire accrue depuis quinze ans : le volume des radiations a été multiplié par sept. Après le décret d’août 2005 qui a élargi la gamme des sanctions, leur volume a augmenté de 20 %.

Le prétexte à la modernisation du service public de l’emploi est d’atteindre « l’objectif d’un taux de chômage de 5 % et d’un taux d’emploi de 70 % à l’horizon 2012 » . Cet objectif de « plein-emploi » est-il sérieux en termes d’offre et de qualité des emplois ?

Pour aller vers le plein-emploi, il faudrait faire en sorte que les offres excèdent les demandes. Or, c’est très largement l’inverse aujourd’hui : il y a environ dix fois plus de demandes que d’offres. On est donc encore très loin de cet objectif.
Par ailleurs, la question de l’emploi ne se réduit plus à un simple ajustement quantitatif. Il s’agit là d’une vision passéiste du fonctionnement du marché du travail. Non seulement le chômage reste à un niveau élevé, mais le sous-emploi et la précarité se sont fortement accrus. C’est la raison pour laquelle on ne peut plus s’en tenir à un indicateur unique pour apprécier les performances en matière d’emploi. Chômage, sous-emploi et emploi inadéquat : selon le collectif ACDC (Autres chiffres du chômage), ces problèmes concernent aujourd’hui plus de 11 millions de travailleurs. On peut discuter la précision du chiffre, mais on ne peut récuser la réalité massive que ces indicateurs désignent.
À cet égard, la situation ne s’est pas améliorée depuis 2002. Le taux de chômage n’a pas baissé, mais le sous-emploi a considérablement augmenté : plus de 200 000 salariés supplémentaires ont été comptabilisés dans le sous-emploi, soit un taux de 5,5 % en 2007 contre 4,9 % en 2002.

Le gouvernement abonde en comparaisons européennes sur la définition de l’offre raisonnable d’emploi, notamment pour justifier le recours aux sanctions. Quels en sont les effets sur l’emploi ?

Les comparaisons internationales montrent d’abord qu’il n’existe aucun lien entre la dureté des sanctions et les performances en matière d’emploi. Ce qui souligne à nouveau qu’il s’agit là principalement d’un choix politique.
En forçant les demandeurs d’emploi à prendre des emplois au rabais, avec des salaires plus faibles, on accentue la pression à la baisse sur les salaires. Car il n’y a pas, d’un côté, un stock de chômeurs sans emploi et, de l’autre, des salariés en emploi, mais des alternances de plus en plus fréquentes entre chômage, sous-emploi et boulots précaires. Dans cette vision libérale du plein-emploi, il s’agit simplement de partager le chômage en multipliant les petits boulots. Les salariés n’ont rien à gagner dans cette course au moins-disant salarial.
Ce projet s’inscrit dans un cadre plus global où le contrôle social s’accentue sur les catégories les plus vulnérables de la population, qui sont de plus en plus stigmatisées, comme cela a été le cas avec le décret « train de vie » précisant les conditions de contrôle des ressources des allocataires de minima sociaux. La tendance à la pénalisation des problèmes sociaux s’accentue.

[^2]: Antoine Math, « Les familles pauvres sont-elles plus mal traitées en France ? Une comparaison des revenus minima garantis dans douze pays européens », la Revue de l’Ires, n° 54, 2007/2.

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