« Ce livre blanc est un faux-semblant »

Jean-Paul Hébert analyse les principaux enjeux de la nouvelle politique de défense française. Pour lui, sa logique repose sur l’accumulation des perspectives de risques et de menaces, développant la peur et l’anxiété.

Manon Besse  et  Maïram Guissé  • 26 juin 2008 abonné·es

Après la présentation du livre blanc par Nicolas Sarkozy, on constate que la politique de défense française s’appuie désormais sur les concepts de «sécurité nationale» et de «résilience». En quoi cela marque-t-il une rupture ?

Jean-Paul Hébert : La nouveauté réside dans l’association des questions de défense et de sécurité. Traditionnellement, il existait une distinction entre défense et action militaire, d’une part, et sécurité intérieure et police, d’autre part. Les méthodes, les buts, les usages ne sont pas les mêmes. Dans cette logique sous-jacente, il est légitime de s’interroger sur l’utilisation de l’armée pour les questions de sécurité intérieure. Par exemple, pour le maintien de l’ordre dans les banlieues. Cette dérive n’est pas formulée telle quelle, mais le risque existe.

En ce qui concerne la notion de «résilience», empruntée à l’éthologue Boris Cyrulnik, il faudrait s’interroger sur les raisons qui poussent à reprendre des concepts psychologiques pour les appliquer à une analyse stratégique. La logique de ce livre blanc repose sur l’accumulation des perspectives de risques et de menaces, développant ainsi un rapport à la peur, à l’anxiété, à l’angoisse. D’où la volonté d’utiliser un concept psychologique pour se protéger.

D’une certaine façon, ce livre blanc est un faux-semblant. En effet, il présente des décisions économiques et politiques comme étant le résultat d’une analyse stratégique. En réalité, il repose sur deux a priori : budgétaire, qui consiste à limiter les dépenses, et politique, qui signe le retour de la France sous le commandement intégré de l’Otan.

Illustration - « Ce livre blanc est un faux-semblant »


Des écrans de pilotage de drones, dans un centre de l’armée à Creil. Se Sakutin/AFP

Justement, quelles seront les conséquences de ce retour sous le commandement intégré de l’Otan pour la France et l’Europe ?

La position de la France va être plus difficile à défendre. Le fait de supprimer toute distance avec l’Alliance prive la France d’une certaine capacité d’autonomie. L’idée d’une construction de défense européenne s’en trouve également affaiblie. Si la France elle-même, qui était un des pays symboles de la volonté de construire cette défense, s’aligne sur l’Otan, comment les autres pays vont-ils prendre le risque de froisser les États-Unis ?

Cet alignement va coûter politiquement.

En réalité, je crois que le calcul de Nicolas Sarkozy est de prendre la place de Tony Blair, fidèle des États-Unis. Mais c’est un mauvais calcul. Ce n’est pas en étant à genoux qu’on est le mieux respecté.

Une place importante est accordée aux systèmes de renseignement. Craignez-vous des dérives ?

Être dépendant des satellites américains pose un sérieux problème. Il est évident que celui qui tient l’information tient le pouvoir. L’idée de développer les moyens de renseignement de type satellitaire est, à mon sens, nécessaire. La réorganisation des moyens de renseignement me semble plus problématique. La DST et les RG sont maintenant fondus dans une structure unique. Il n’est pas certain que ce soit une bonne chose. Plus un service de renseignement est important, plus il est puissant.

La production de systèmes de sécurité et de surveillance se développe. Elle représente un ensemble économique conséquent, auquel on s’habitue de plus en plus. Je pense notamment aux attentats de Londres. Grâce aux images des caméras de surveillance, on a identifié les poseurs de bombes. Mais cela n’a pas empêché les attentats…

S’il se développe un discours d’extrême angoisse sur tous les risques possibles, on va susciter une paranoïa sociale problématique. Il se dessine une certaine image de l’étranger qui renvoie à une idée d’hostilité. De plus, une part du discours du livre blanc énumère les risques de prolifération du nucléaire, du biologique, du chimique… Là encore, le risque grave est associé au danger potentiel de l’étranger. Le discours apparaît un peu catastrophiste.

Quelle serait, selon vous, une doctrine de défense ?

Elle devrait être claire sur le fait que l’armée et la police sont deux entités distinctes. Deuxièmement, il ne faut pas oublier que le pacifisme est un questionnement utile, efficace, nécessaire. Même s’il ne répond pas aux conditions concrètes d’aujourd’hui, il nous oblige à réfléchir sur nos moyens. Troisièmement, il ne faut pas méconnaître la réalité, bien que le militarisme ne soit jamais une solution. Par militarisme, je veux dire la tentation de gagner du temps en répondant militairement à une situation politique. Il faut assumer l’existence d’une armée et la possession d’armes, en sachant que cela doit toujours être subordonné aux principes des droits de l’homme et de la République. Une politique de défense, aujourd’hui, doit se construire sur un plan européen. Cette dimension européenne est absolument nécessaire.

Politique
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